Sur le mode d’étiquettes, nous présentons très brièvement une dizaine de scientifiques du Pays Basque et alentours, trop peu connus à notre sens.
Etiketa moduan, gutxi ezagunak iduritzen zaizkigun Euskal Herriko eta inguruko hamar bat zientzialari aurkezten ditugu.
Introduction
Lors d’une conférence grand public que je donnais récemment dans une « université du temps libre » du Pays Basque, je me suis rendu compte à nouveau d’un fait que j’avais observé par le passé, et qui n’avait pas beaucoup évolué, à savoir l’ignorance qu’ont les Basques, y compris les jeunes, des scientifiques que leur pays a vu naître et se développer. Certes, on pourra me rétorquer quelques progrès dans l’avancée des connaissances générales, au Pays basque comme ailleurs, mais sur le point précis que j’évoque plus haut, c’est à peine si je décèle un mieux par rapport à l’époque qui fut celle de ma formation au pays, soit il y a plus de cinquante ans. « Heureusement il y a les pastorales souletines » ai-je envie d’avancer car, effectivement, le choix des personnages centraux de ces manifestations a parfois comblé le déficit que les formations initiales (je parle de celles des jeunes, de l’école élémentaire au lycée) ont maintenu.
L’objet de la présente note est de lister quelques scientifiques du Pays Basque et un peu au-delà sous forme de « vignettes ou étiquettes historiques », présentations très succinctes donc de personnages qui tous en mériteraient des pages et des pages.
Oui mais… quels sont les critères de choix que j’ai utilisés ? En premier lieu, et comme je l’ai déjà dit : le Pays Basque du côté français, en l’élargissant à peine à Pau (1 exemple supplémentaire) et dans les Landes (2 exemples de plus). Ensuite, et de manière nette, que le scientifique en question ait eu une notoriété en dehors de son pays (par ses postes occupés, par ses enseignements et recherches sous forme d’écrits qui sont restés) et qui a, le plus souvent, culminé par une élection à une Académie (des Sciences, de Marine, …) d’une grande ville extérieure (Paris, Bordeaux, Toulouse, etc.).
Soyons précis, par sciences, nous entendons ici : mathématiques, sciences physiques, chimie, ou leurs antécédents sous d’autres appellations dans l’histoire des sciences.
On ne peut pas dire que les sciences aient été l’objet de beaucoup d’attention et de reconnaissance au Pays Basque, lequel a toujours préféré les arts et lettres, les têtes couronnées (exemple de Biarritz), ou les religieux (dont les traces sont bien marquées à l’intérieur du pays). Une manière de tester cette affirmation est de regarder toutes les appellations publiques (de rues, de monuments, d’espaces publics) de nos villes et villages, ou encore d’établissements scolaire du pays. Nous l’avons fait pour des centaines de cas à Bayonne, Anglet, Biarritz, Bidart, St Jean-de-Luz, … Nous en donnerons le résultat pour chaque personnage concerné.
A la lecture de notre modeste contribution, le lecteur pourrait réagir en disant : « Oui mais il a oublié tel et tel… » ; si c’est le cas et si l’oublié répond aux critères évoqués plus haut, c’est avec plaisir que nous l’inclurons dans notre liste.
Allons-y… sans nécessairement suivre un ordre chronologique.
Vignettes historiques de scientifiques
Antoine d’Abbadie (1810-1897) / photo de couverture
À tout seigneur tout honneur… Nous commençons par Antoine d’Abbadie, celui que je considère comme le plus grand des scientifiques basques, celui que j’ai nommé en [6] « L’Arago du Pays Basque », en écho à son mentor catalan François Arago (1786-1853).
A. d’Abbadie n’est pas seulement un personnage à associer au domaine et château d’Abbadia à Hendaye, mais un philanthrope, linguiste, explorateur, anthropologue, scientifique… Il fut élu à l’Académie des sciences de Toulouse mais, plus important, à celle de Paris dont il fut élu président en 1892 ! En avons-nous eu tant que cela au Pays basque des présidents de l’Académie des sciences de Paris pour l’ignorer à ce point ? En tout cas, dans ma période de formation au Pays basque, avant d’aborder des études supérieures à l’extérieur, je n’en avais jamais entendu parler… (*) Depuis, les trente dernières années pour fixer les idées, les choses ont changé, il y a à présent une littérature abondante (articles, livres) sur le parcours d’Antoine d’Abbadie. La période moderne du château d’Abbadia a commencé en 1996, un important colloque sur d’Abbadie eut lieu à Hendaye et Sare en 1997 (cf. [3]), une pastorale écrite par Jean-Louis Davant fut jouée à Mauléon quelques années avant, puis des articles et livres très fouillés sur le sujet furent publiés à partir de 2010 ([4], [7], [8]). Nous invitons le lecteur curieux, qui n’aurait pas une connaissance suffisante de ce « savanturier », à se plonger dans la lecture d’un de ces documents.
Lors d’une visite du domaine d’Abbadia il y a une quinzaine d’années, sous l’égide de Céline Davadan (administratrice déléguée au château d’Abbadia jusqu’à sa retraite en 2023), nous nous étions fixés un objectif, atteignable, mais dont la réalisation ne dépendait pas de nous : que tout élève d’un établissement scolaire du Pays Basque ait eu l’occasion, lors de sa scolarité, de visiter au moins une fois le domaine d’Abbadia et, surtout, d’apprendre qui était Antoine d’Abbadie. Force est de constater aujourd’hui que ce n’est pas le cas…, faites un sondage autour de vous.
Les traces mémorielles d’Antoine d’Abbadie restent faibles : certes, portent son nom un auditorium et une rue à Hendaye (dont il fut le maire !), la grande salle de lecture des archives départementales à Pau, mais aucun établissement de formation (école élémentaire, collège, lycée, institut, université, …).
(*) Pas seulement au Pays Basque… Dans [2], Jean Dercourt parle d’A. d’Abbadie comme d’un « généreux scientifique reconnu en son temps mais bien oublié depuis un siècle ».
Renau d’Elissagaray (1652-1719)
Renau d’Elissagaray, dit « le petit Renau », né en 1652 à Armendaritz (petit village de l’intérieur du Pays basque français), fut un grand constructeur naval, bâtisseur de fortifications et de ponts, au service du roi Louis XIV. Ses techniques empruntaient beaucoup aux connaissances cartésiennes de la géométrie des courbes et surfaces ; il continue à être étudié par les historiens des sciences et techniques (voir [9, 10] par exemple). Il fut élu à l’Académie des sciences en 1699 et en fut son vice-président en 1714. Nous, au Pays Basque, avons donc eu un président et un vice-président de l’Académie des sciences de Paris.
Une pastorale lui fut consacrée au Pays Basque en août 2007 dans le petit village souletin de Camou-Cihigue, dans laquelle, de manière assez étonnante, sont évoqués « son goût, par-dessus tout, pour l’étude des mathématiques » (« Maite züan ikastea oroz gain matematika ») et les noms de N. de Malebranche, Jean Bernoulli, Fontenelle, Newton. L’auteur de la pastorale, Jean-Louis Davant, comme celle sur Antoine d’Abbadie en 1990, a été formé aux sciences et techniques, ce qui explique peut-être son goût pour des pastorales dont les personnages principaux sont liés à ces domaines. En tout cas, ces pastorales ont fait beaucoup pour faire mieux connaître A. d’Abbadie et R. d’Elissagaray au grand public.
L’ouvrage de R. d’Elissagaray « Traité de ma méchanique des liqueurs » (comprenez : des fluides), publié en 1712, utilise le calcul différentiel, alors encore à ses débuts ; les applications entrevues concernent les interactions air-voiles d’un navire, coque du navire-eau, etc.
Une rue porte son nom à St Jean-de-Luz.
Le texte de conférence référencé en [11], de son descendant de même nom, est le travail le plus complet que je connaisse à propos de Renau d’Elissagaray.
Jacques Garra de Salagoity (1736-1808)
Au 18ème siècle on ne parle pas de « mathématicien », de « physicien », … les domaines d’expertise de J. Garra de Salagoity se référent néanmoins à ladite science nautique et aux mathématiques.
J. Garra de Salagoity est né à Hélette (petit village de l’intérieur du Pays Basque français) en 1736 et mort à St-Jean-de-Luz en 1808.
Prêtre en 1762, il fut professeur de mathématiques, de philosophie, de physique et d’hydrographie. Le chanoine Etienne Salaberry (1903-1981), de la maison Garra à Hélette, que certains lecteurs ont probablement connu comme professeur de philosophie au collège St-François d’Ustaritz ou à l’institution St-Louis-Villa Pia de Bayonne, disait qu’il faisait partie de ses ancêtres.
J. Garra de Salagoity fut professeur royal d’hydrographie à Bayonne en 1776, à Narbonne en 1791, puis à Saint-Jean-de-Luz en 1793. Il a enseigné aussi à l’université de Toulouse. Il fut élu à l’Académie royale de Marine en 1781. Egalement membre correspondant de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, et de celle de Bordeaux.
Photo ci-contre : Parmi les linteaux sculptés sur la place de Hélette, celui de la mairie comporte une pierre gravée, sur laquelle figure ce texte en latin : "Hanc domum villasque olim speluncam latronum purificavit Jacobus Garra de Salagoïty, praesbyter, regius hydrographiae professor Baionensis, regiarum Academiarum Tholosane Burdigalensis et Marinae correspondens. Natus die martii quarto 1736" (Cette maison et ses propriétés, autrefois caverne de voleurs, ont été purifiées par Jacques Garra de Salagoïty, prêtre, professeur royal d'hydrographie à Bayonne, correspondant des Académies Royales de Toulouse, Bordeaux et de la Marine, né le 4 mars 1736).
Son copieux livre-ouvrage « Eléments de la science du navigateur », Paris 1781 (calculs arithmétiques-Analyse-Géométrie-Trigonométrie-Astronomie) est un peu indigeste à parcourir de nos jours. Une rue porte son nom à St-Jean-de-Luz. Cette ville a le mérite d’avoir su honorer deux importants contributeurs basques à la « science des mers », R. d’Elissagaray et J. Garra de Salagoity.
« Savoir une chose et la savoir enseigner, c’est bien différent »
(J. Garra de Salagoity dans son programme départemental d’études primaires)
Références
Concernant Antoine d’Abbadie :
1 - Gaston Darboux, Notice historique sur Antoine d’Abbadie. Séance publique annuelle de l’Académie des Sciences de Paris du 2 décembre 1907.
2 - Discours de Jean Dercourt, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences de Paris, à la séance solennelle de cette académie le 18 novembre 1996.
3 - Actes du congrès international A. d’Abbadie à Hendaye et Sare en 1997, publiés par Eusko Ikaskuntza et Euskaltzaindia (Académie de la langue basque) en 1998.
4 - Antoine d’Abbadie, De l’Abyssinie au Pays basque. Voyage d’une vie. Collectif sous la direction de Jean Dercourt, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences de Paris. Editions Atlantica (2010).
5 - Courrier de Jean Dercourt à Jean-Baptiste Hiriart-Urruty en date du 15 septembre 2010.
6 - Jean-Baptiste Hiriart-Urruty, Antoine d’Abbadie (1810-1897) : d’Irlande au Pays basque, en passant par Toulouse, l’Ethiopie et bien d’autres contrées. Communication présentée à l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse en sa séance du 9 juin 2011. Publiée dans les Mémoires de cette Académie, Vol. 173, p. 121-132 (2011).
7 - Patri Urkizu. A. d’Abbadie. Essai biographique. Editions Atlantica (2011).
8 - Viviane Delpech. Abbadia. Le monument idéal d’Antoine d’Abbadie. Presses universitaires de Rennes (2014).
Concernant Renau d’Elissagray :
9 - Jean-Jacques Brioist et Hélène Vérin, Pour une histoire de la méthode de Renau d’Elissagaray. Documents pour l’histoire des techniques, n° 16, p. 112-142 (2008).
10 - Jean-Jacques Brioist, L’ingénierie cartésienne de Renau d’Elissagaray. Documents pour l’histoire des techniques, n° 16, p. 169-186 (2008).
11 - Bernard Renau d’Elissagaray, dit petit Renau : marin, ingénieur, mathématicien, et même fiscaliste. Conférence de R. Elissagaray de Jaurgain à la société Eusko Ikaskuntza (Bayonne) le 27 mars 2004.
Concernant Jacques Garra de Salagoity :
13 - Michel Etcheverry, Jacques Garra de Salagoity. Gure Herria n° 9, p. 537-546 (1921).
14 - André Giret, Un savant basque du 18e siècle : l’abbé Garra de Salagoity. Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne, p. 169-183 (1957).
15 - Jean Curutchet, Jacques Garra de Salagoity. Ekaina n° 95 (3e trimestre 2005).