Comme ce fut le cas au début du XVIème siècle pour l'expédition menée par Magellan et Elcano, la plus grande exposition organisée à ce jour pour commémorer le premier tour du monde il y a 5 siècles a dû également « affronter ses propres intempéries », en l’occurrence les conditions sanitaires du coronavirus qui l’ont empêché - pendant un an - d’aborder au musée San Telmo après avoir été inaugurée à Séville en 2019.
Finalement, comme le navigateur basque arrivé en 1521 avec ses épices, elle a débarqué au musée de Saint-Sébastien, encore enrichie de divers documents conservés au Pays Basque, en particulier les dernières lettres manuscrites d'Elcano – dont celle qu’il écrivit à Charles Quint pour l'informer de son arrivée, et du testament qu'il rédigea avant de mourir aux Philippines lors de sa deuxième expédition autour du monde.
« Le plus long voyage »... autour de la planète !
Le nom de Magellan est bien connu : on sait qu'il fut le premier Européen à emprunter en 1520 le détroit qui porte désormais son nom, au sud du continent américain, et à traverser l'Océan Pacifique.
Et on croit en général qu'il fut également le premier navigateur à faire le tour du monde. Il n'en est rien: il revint en fait à Juan Sebastián Elcano d'achever le voyage. Magellan, en effet, mourut avant de parvenir au terme d'une expédition qu'il a l'honneur d'avoir initiée. Il a ramené à Séville les derniers survivants de l'expédition commandée à l'origine par Fernand de Magellan en accomplissant de fait la première circumnavigation du globe de 1519 à 1522. Par l'ouverture géographique et humaine qu'elle engendra, cette aventure extraordinaire modifia durablement non seulement la politique espagnole et européenne, mais aussi la vie des peuples du Pacifique.
Juan Sebastián Elcano naquit en 1486 ou 1487 à Guetaria en Guipuzcoa. Ce nom d’Elcano signifierait en basque un endroit où traditionnellement on laboure, et il désigne encore de nos jours le quartier de Guetaria d’où notre navigateur serait originaire. Capitaine d'un navire marchand lors d'une l'expédition à Oran en 1509, Elcano commit l'imprudence de vendre son navire pour se rembourser des dettes que les Finances royales avaient à son égard Cherchant à se faire pardonner par Charles Quint, il s'engagea comme officier subalterne dans l'expédition de Magellan qui partit en août 1519 afin de faire le tour du monde. Charles Quint lui pardonna après son retour des Moluques.
Le but de tous ces voyages était de ramener de précieuses épices : évidemment, Magellan était en quête d’épices (poivre, safran, musc, cannelle, etc.) venant de l'Inde, des Célèbes (archipel situé à l'est de Bornéo), de Sumatra et des Moluques, indispensables sur les tables raffinées d'Europe pour relever la saveur de la cuisine, mais dont les prix étaient parfois prohibitifs, surtout depuis que les Turcs contrôlaient la Méditerranée orientale.
Ces épices, toutes les nations européennes s'y intéressaient : Venise et Gênes en faisaient le commerce avec les ports d'Alexandrie et de Constantinople et même les rois d'Angleterre : ainsi, Henri VII envoya à leur recherche Giovanni Caboto, que les Anglais appelèrent John Cabot : il estimait qu'on pouvait y arriver par le nord de l'Amérique – expédition qui le mena aux froids rivages de Terre-Neuve; les Catalans en importaient depuis Beyrouth ou la Syrie; les Portugais choisirent la voie africaine, s'établirent à Calicut, Goa et Ormuz, puis à Malacca en 1511, et atteignirent enfin les Moluques en 1512: Lisbonne devint alors la capitale européenne des épices, mais la route vers ces précieuses denrées était longue et périlleuse.
Pour en revenir au rôle d’Elcano dans cette épopée : en 1519, il embarqua sur la "Concepción" en tant que maestre (une sorte d'intendant du navire) et il semble aussi qu'il ait participé à la mutinerie de la baie de San Julián le 1er avril 1520, ce qui ne se traduisit que par une arrestation temporaire que Magellan leva assez vite. Il déclara quant à lui qu'il n'avait pas eu d'autre choix. Elcano fut même nommé capitaine de la Concepcion, l'un des cinq navires de l'expédition. Lorsque Magellan fut tué par des indigènes dans l'île de Mactan, aux Philippines, le 27 avril 1521, les compagnons lui donnèrent le commandement de la flotte, à bord du vaisseau Victoria : ascension remarquable, et dont la suite prouva qu'elle n'était pas indue.
Mais le retour du "Victoria" en Espagne fut très périlleux : le 21 décembre, Juan Sebastián Elcano y embarqua en compagnie de 47 Européens et 13 Indiens.
Il fit d'abord plusieurs escales, au cours desquelles un certain nombre de marins désertèrent, préférant les douceurs de la vie des îles aux incertitudes de ce voyage – certains avaient déjà quitté leur bord à Tidore, de peur que le navire ne pût résister et aller jusqu'en Espagne. Mais ce fut plutôt par peur de mourir de faim.
A bord de son navire, Elkano pénétra dans l'Océan Indien le 12 février 1522, faisant un large et épuisant détour par les hautes latitudes, dites «quarantièmes rugissants», pour éviter de rencontrer des navires portugais. Le 18 mars 1522, Elcano découvrit l'île Amsterdam, au sud de l'océan Indien, mais ne la nomma pas. Il passa Bonne-Espérance le 18 mai et entreprit de remonter la côte atlantique de l'Afrique.
Le 9 juillet, à court d'eau et de vivres, il dut se résoudre à jeter l'ancre aux îles du Cap Vert, déclarant aux autorités portugaises qu'il venait d'Amérique. Mais il fut trahi par un de ses marins qui voulut payer un sac de riz avec des clous de girofle, ce qui révéla aux Portrugais la véritable provenance de l’expédition : les douze hommes à terre furent arrêtés et, pour ne pas subir le même sort, la Victoria reprit la mer (Elcano écrivit au roi d’Espagne : nous décidâmes, d'un commun accord, de mourir plutôt que tomber aux mains des Portugais). Ils arriveront à Sanlúcar le 6 septembre 1522, soit presque trois ans après le départ de la flotte, avec à leur bord 21 survivants en piteux état, dont trois Indiens (22 hommes étaient morts en mer, et d'autres avaient été exécutés pour leurs délits).
Pigafetta, qui était l’écrivain de l’expédition, raconta : "le mardi 9 septembre, nous tous en chemise et pieds nus, allâmes, chacun une torche en main, à l'église de Sainte-Marie de la Victoire et à celle de Sainte-Marie de l'Atlantique, comme nous l'avions promis dans les moments d'angoisse". Lors de l'escale au Cap Vert, les navigateurs, qui se croyaient mercredi, apprirent qu'il était jeudi, ce dont ils furent ébahis... "car tous les jours, moi", rapporte Pigafetta, "qui étais toujours sain, avais écrit sans aucune interruption chaque jour". Mais, le long voyage avait emporté l'avantage de vingt-quatre heures.
Et la suite de son aventure valurent des honneurs à Elkano : de retour en Espagne, et après une enquête minutieuse, les grandes qualités de marin et de meneur d'hommes dont avait fait preuve Elcano furent reconnues par Charles Quint, qui le reçut personnellement à Valladolid et lui accorda un blason sur lequel on pouvait voir le globe terrestre surmonté de la devise en latin «primus circumdedisti me» («C'est toi qui le premier m'as contourné»).
Son prestige et son expérience nautique valurent à Elcano de siéger, aux côtés d'autres grands noms de la mer, comme Hernando Colón, Sebastián Caboto ou Américo Vespucci, au sein de la réunion qui se tint à Badajoz en avril-mai 1524, pour déterminer si les Moluques étaient en territoire portugais ou espagnol (on ne parvint à aucun accord). En 1525, Elcano participa ensuite comme capitaine de l'un des sept navires d’une expédition envoyée par Charles Quint sous le commandement de García Jofré de Loaísa. Après la mort de Loaísa, le 30 juillet de l'année suivante, en haute mer, il prit la direction de la flotte, mais pour bien peu de temps, puisqu'il mourut à son tour le 4 août, probablement du scorbut et d'épuisement. Il n'avait pas 50 ans.