1 – Le christianisme et ses racines anciennes
Le christianisme fut bien la religion enracinée dans le terreau naturaliste de Rome et de ses populations. On craignait dès le printemps pour les fruits de la terre, dira Pline, trois saisons pour lesquelles on a établi des féries et des jours de fête, les robigales, les florales et les vinales dans l’empire tout entier pour appeler la protection et la bienfaisance des dieux !
« Les fastes d’Ovide » distilleront le déroulé de ces fêtes rustiques parmi lesquelles l’une des plus jolies et anciennes, celle des palilies, est dédiée à Palès, déesse des troupeaux et des pâturages.
Certains bergers aujourd’hui ont, encore, gardé ces coutumes aussi anciennes que la mémoire des hommes... Au crépuscule, les pâtres répandaient de l’eau sur la terre battue de leur bergerie. Ils la balayaient avec des branches, l’ornaient de rameaux et de feuillages. Une couronne était suspendue au-dessus de la porte d’entrée, le laurier embrasé, le romarin, la torche résineuse et la flamme de soufre ayant la vertu de purifier l’air, et l’on faisait passer les brebis troublées à travers cette fumée expiatoire (comment ne pas évoquer ici comment se déroulait à l’origine le pèlerinage de la Saint-Blaise en Soule, dont certains rites, antérieurs au christianisme, voyaient les éleveurs, bergers, commerçants de laine, etc., dont le patron est saint Blaise, apporter des morceaux de fourrures, queux d’animaux pour, le soir venu, devant le sanctuaire, jeter leurs offrandes dans un brasier enflammé. Les pèlerins dansaient alors autour du feu qui répandait un encens que l'on disait agréable au saint protecteur les rites des bergers et de leurs troupeaux, NDLR.).
Les robigales contées par Ovide rapporteront le souci pressant des vignerons d’épargner la rouille dans leurs vignobles. Une angoisse de toutes les époques ! « Apre déesse Robigo (ou rouille), épargne les herbes de Cérès et laisse leur tige polie se balancer sur la terre ». Le blé, objet de toutes les attentions faisait appel aux incantations de l’âme paysanne de la part du poète. « Grace ! Je te prie, ne mets point sur les moissons tes mains raboteuses, ne nuis point aux champs cultivés, ronge le fer dur au lieu des tendres blés »…
De ces cultes agraires et de leurs influences naquirent des traditions différentes, greffées à leur origine autour de la saint Marc à Rome, et des litanies majeures qui permirent à de nombreux cortèges de fidèles de sillonner la ville dans une espérance invocatrice, heureuse des saisons et des prochaines moissons..
2 – En terre gauloise : les Rogations
En Gaule, autre versant de ce culte au soleil et à la terre nourricière des humains, on pratiquait d’autres usages encore tout droit venus de cultes païens très anciens, accompagnés à leur tour de petites litanies et de processions dites « des Rogations ». Cérès et Cybèle laissant place à la mère génitrice de la terre, aux saints locaux, Blaise, Mamert, et bien davantage, leur nombre étant sur numérique, on dut les élaguer en chiffre pour ne point disqualifier leur vertu,
Charles Péguy qu’il convient de citer pour son identification lumineuse de l’âme de la terre de la vieille terre de Gaule, raconte par l’ouverture du Porche de la seconde vertu, sa foi inébranlable en la Providence qui insuffle et vivifie le paysan de ces poésies inégalables. « Mes trois vertus, dit Dieu, les trois vertus de mes créatures, mes filles, mes enfants, sont elles-mêmes comme mes autres créatures, de la race des hommes. La foi est une épouse fidèle, la charité est une mère, l’espérance est une petite fille de rien du tout venue au monde le jour de Noël de l’année dernière ». Et dans cet univers commun aux hommes et aux cultures paysannes, Péguy de faire parler l’Eternel son Dieu et les hommes, ses artisans laboureurs de la terre. « Vraiment, dit Dieu, mon Fils m’a fait de bons jardiniers, depuis quatorze siècles que mon Fils laboure et cultive cette terre (des Gaules), il m’a fait de très bons laboureurs et cultivateurs, des moissonneurs et des vignerons, ces pluies qui partout ailleurs envahirent, envasèrent d’un limon crasseux la terre végétale, noieraient toute pousse et bourgeonnement, sans les varechs et les vers de vase, mais ici Dieu en cette douce France, ma plus noble création... Ici, ils sont bons jardiniers finis, des fins jardiniers ; ô peuple, tu as bien appris les leçons de mon Fils qui était un grand jardinier, peuple secrètement aimé, c’est toi qui as le mieux réussi »...
De fleurs, de couronnes, d’étendards et d’incantations litaniques, le poète ouvrira le chemin processionnel des fidèles, particulièrement les plus avertis des travaux des champs sur ces voies pèlerines des Rogations et de la Fête-Dieu en communion invisible avec cet environnement naturel habité de tant de mondes imprévisibles !
François-Xavier Esponde