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Patrimoine de la Semaine
Real Golf Club de Saint-Sébastien : Olazabal, Arruti et autres familles basques
Real Golf Club de Saint-Sébastien : Olazabal, Arruti et autres familles basques

| Roland Machenaud 1943 mots

Real Golf Club de Saint-Sébastien : Olazabal, Arruti et autres familles basques

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Le Golf de Saint-Sébastien ©
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Le Club-house restaurant du Golf de Saint-Sébastien ©
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D’abord, prendre la spectaculaire route de la Corniche qui mène de Saint-Jean-de-Luz à Hendaye. Et s’arrêter au château d’Abbadia, œuvre d’Eugène Viollet-Le-Duc construite dans la seconde partie du XIXe siècle pour Antoine d’Abbadie, explorateur, linguiste et astronome. En 1910, au pied du château, un golf de 18 trous descendait jusqu’à la mer : en cherchant bien, on trouve des traces de ce qui a pu être un des premiers links d’Europe continentale.

À Hendaye, le passage de la frontière entre la France et l’Espagne s’opère en toute liberté, sans qu’une intervention extérieure ne rappelle que sur ce pont de la Bidassoa, des milliers de réfugiés politiques, des centaines de contrebandiers ou des touristes en mal de soleil ont foulé le macadam au siècle dernier sous l’œil des douaniers et des policiers en armes. Autres temps, autres mœurs. L’Europe a indiscutablement gagné la paix. Mais comment ne pas voir la frontière ? Certes, la frontière n’a jamais existé puisqu’on est et on reste au Pays Basque mais une civilisation peut cacher plusieurs cultures. À chacun de découvrir les charmes de ces différences.

Jamais les pieds à plat

Le Real Golf Club de Saint-Sébastien est à moins de dix minutes de la frontière, au pied du Jaizkibel qui domine, de ses 545 mètres, une mer étonnamment turquoise. Le port de pêcheurs de Fontarrabie y abrite toujours les chalutiers rouge, vert, bleu et blanc qui, après avoir chassé baleines et morues pendant des siècles, se consacrent à la collecte des thons, des anchois, des merlus, des bars et des soles que les quotas européens veulent bien leur laisser pêcher.

Le golf est apparu assez tardivement en Espagne : le premier club a été inauguré dans une des îles des Canaries - Gran Canaria – le 17 décembre 1891 … par une petite colonie britannique habituée à y passer des vacances d’hiver. Madrid disposa d’un parcours en début de siècle où les premières compétitions officielles nationales se déroulèrent en 1915. Le premier témoignage du jeu de golf au Pays Basque espagnol est une photographie qui servit de carte postale envoyée de Barcelone le 10 octobre 1903. On y voit des joueurs accompagnés de caddies sur les flancs du mont Ulia à Saint-Sébastien. Trois clubs seront alors créés à cette époque : Lasarte, banlieue de Saint-Sébastien en 1910, Neguri près de Bilbao en 1911 et Zarauz en 1916.

Avec les conseil d’un grand professionnel anglais, H. Fowler, la construction du parcours du Real Club de Saint-Sébastien s’est inspiré du tracé du golf de La Nivelle créé en 1907 et seulement éloigné d’une quinzaine de kilomètres. La caractéristique des deux parcours est la même : dans la très grande majorité des trous, on n’a pas les pieds à plat. Pentes et contrepentes, montées et descentes, vallons et ravins saccadent la ballade sportive : vous n’êtes pas prêt de l’oublier. En été, prévoir casquette, bouteille d’eau et mollets en forme. Jesus Maria Arruti, le pro toujours présent sur le circuit européen, prévient : « Notre golf est près de la mer … qu’on ne voit jamais mais il a davantage l’aspect d’un golf de montagne : à part les 16 et 17 où le joueur se repose avant la grande montée du 18, le parcours est toujours pentu ».

Avant de partir sur le parcours, un mot quand même sur ce M. Herbert Fowler qui a marqué d’un sceau indélébile le golf britannique et américain. Né en 1856, il fut un grand joueur de cricket avant de se lancer dans la construction de golf. Il était connu pour son côté fantasque –il aimait ainsi putter avec le driver !- ce qui ne l’empêcha pas tout de même de terminer 26e d’un Open Championship. Il réalisa quelques chefs d’œuvre comme Walton Heath en Angleterre ou Crystal Springs aux États-Unis. C’est lui aussi qui donné sa forme définitive au fameux 18e trou de Peeble Beach. Il mourut en 1941.

Un golf de montagne près de la mer

Dès le premier trou, le joueur plongera, au propre et au figuré, dans une ambiance qui ne le quittera plus. Départ en surplomb au milieu des arbres, tee-shot précis pour poser sa balle avant la rivière : fer et modestie conseillés. Un trou d’observation et d’échauffement, comme on dit en boxe, qui insinue que le parcours fera plus appel à la stratégie qu’à la force. 
Fairways et greens sont recouverts de pâturin assez commun en climat tempéré : le danger ne viendra pas de là. 

Au deuxième trou, un par 4 de 381 mètres, il sera bien de jouer son drive en fade pour éviter à la balle de rouler dans le sens de la pente vers la gauche. La difficulté du trou viendra du green surélevé, défendu de chaque côté par deux bunkers et bizarrement coupé en deux dans le sens du parcours par une dénivellation importante : difficile de réussir son putt si on se trouve sur le mauvais plateau. De nouveau, drive en fade au prochain trou pour rester à droite suivi d’un long second coup par dessus une butte arborée comme lâchée par un rapace des Pyrénées. Il vaudra mieux être court et à droite au trou 4, un par 3 de 150 mètres : la pente du green de gauche à droite est énorme et a une forte tendance à pousser toutes les balles hors du green. 

Le trou 5 offre une vue magnifique, similaire au trou 5 de Chantaco que l’on devine au loin au pied de la Rhune : une longue descente vers un green défendu qui oblige à viser à gauche pour ne pas dévaler vers la droite. Après un court par 4 au 6, on arrive à un des plus beaux et des plus difficiles trous du parcours : le trou 7 est un très long par 4 de 429 mètres qui exige autant de précision que de longueur. 
Face aux belles montagnes des Peñas de Hayas et aux côteaux d’Hendaye et d’Irun, pas de place à la poésie contemplative. Il faudra éviter le hors-limite à gauche et les bunkers bien placés avant un green en légère bosse. Pas étonnant que Jose Maria Olazabal ait choisi de construire sa maison au bord de ce trou qui fera la part entre champions sérieux et amateurs prétentieux. Le trou suivant est un spectaculaire par 3 de 168 mètres, plus impressionnant que difficile où il est vivement conseillé de rester vigilant afin de ne pas tomber en descendant la pente ! Au 9, on restera dans la famille Olazabal en admirant, tout en haut d’une montée sportive, la vieille maison basque maintenant occupé par les caddy-masters et autrefois demeure du grand-père et du père du talentueux basque. 

Au trou 10 où la difficulté viendra du hors-limite à droite, succédera un des plus jolis trous du Real Club de Saint-Sébastien : le 11, un par 4 de 373 mètres, est non seulement long mais aussi ardu car plus que jamais sur ce parcours, on n’arrivera pas à avoir les pieds à plat. Et les pentes sont telles que les balles prennent un malin plaisir à dévaler la pente à gauche et à se réfugier sous les chênes en bordure. Quant au green, sa première partie refuse de garder les balles et la seconde partie offrira un putt en descente toujours malaisé. Mieux vaut être court du green au suivant, un par 3 de 132 mètres sans difficulté particulière tout comme le 14 où il est recommandé de se retourner sur le green et de sortir son appareil de photo pour attraper le Jaizkibel. L’eau est en jeu à l’arrivée du 15 dont le green a été récemment repensé et dessiné sur un île aux canards. Enfin, un terrain plat pour les 16 et 17 dont la terre argileuse subit la montée des eaux à la moindre pluie. 

Un peu de repos assuré avant d’attaquer la dernière montée, et pas la moindre ! Le trou 18, un par 3 de 171 mètres, est peut-être le plus beau du parcours, en particulier au printemps ou à l’automne, mais sera déterminant pour la carte. Il est conseillé à tous les amateurs de prendre un drive mais il conviendra d’éviter d’être trop long ou de tomber dans les bunkers. D’autant que, sur la terrasse, du club-house tout le monde vous regarde : alors à vous de choisir entre applaudissements et sourires condescendants !

Tradition & équilibre

Après votre partie, en dégustant les délicieux tapas au bar - ne pas rater la « tortilla de patatas » ou omelette aux pommes de terre, onctueuse et nourrissante -, une ambiance presque britannique vous enveloppera insidieusement : la tradition, cachet de ce « caserio », vieille ferme basque solide et cossue, est au rendez-vous. Julian de Celis, président du Real Golf Club de San Sebastian, confirme : « certaines familles sont représentées sur trois générations et 50 de nos membres ont plus de 50 ans d’ancienneté ! Ce qui donne à notre club un sens de l’équilibre toujours présent : équilibre social, équilibre entre joueurs et non joueurs, équilibre entre les générations, équilibre chez le personnel fier d’appartenir au club, équilibre du parcours entre trous longs et trous courts, équilibre entre les grands champions nés sur notre terre et les milliers d’amateurs qui ont bénéficié de leurs expériences et de leurs talents, équilibre écologique que donne ce poumon vert heureusement conservé au milieu d’une zone hyper urbanisée ».

Un équilibre de vie qui passe aussi par le restaurant où il est fortement recommandé de terminer sa visite en découvrant les « chipirones y su tinta » et le merlu comme seuls les espagnols savent le cuire.

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Jose Maria Olazabal ©
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Trois générations d’Olazabal

La famille Olazabal est omniprésente au golf de Saint-Sébastien. Non pas d’une façon envahissante mais avec plutôt un maximum de discrétion. À la basque. Le grand-père vivait dans la ferme située derrière le green du 9 et travaillait à l’entretien du parcours comme le père. Quand les revenus sportifs le lui ont permis, Jose Mari, qu’on appelle Txema en basque, a construit une grande maison près du 7 et en a ouvert les portes à ses parents et à sa sœur.
Entre deux tournois ou deux missions, il s’y repose et profite de la nature environnante en s’adonnant à deux passions : la chasse avec son père Gaspar et les arbres « pour leurs couleurs et leurs forces naturelles ». Ses conseils avertis servent aussi au bon développement du club.

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Leçons de golf avec Jesus Arruti ©
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Les frères Arruti

Il sont septuagénaires mais n’ont jamais laissé tomber l’enseignement du golf. Jesus et Jose, frères jumeaux, sont l’âme de ce club. Dès l’âge de 15 ans, ils ont travaillé comme cadets au golf de Lasarte. Aujourd’hui encore, on peut les voir donner des leçons de façon indifférente aux enfants, aux jeunes champions ou aux touristes de passage. Leur renommée a franchi la frontière et Jesus s’installe à Ilbarritz, deux fois par semaine, où l’attendent des disciples fidèles. Son fils Jesus Maria participe toujours à des compétitions européennes tout comme ses cousines, Marina et Amaya.

Un avion dans les arbres

Au départ du 17, il n’y a pas que les balles qui volent. Il y a quelques années, un avion en perdition est venu se planter dans les arbres qui dominent le départ des hommes. Pas de blessés mais des souvenirs qui persistent encore dans les conversations au club-house.

La lumière noire
Le Pays Basque a donné au monde des arts du XXe siècle les plus grands noms de la sculpture. Parmi eux, Chillida et Oteiza, frères ennemis, dont les œuvres parsèment ici espaces publics et collections privées. Si on vient jouer au golf entre novembre et mars à Saint-Sébastien/Fontarrabie, on comprendra le mot de l’artiste qui aimait répéter : « Au Pays Basque, la lumière est noire ». Et on appréciera sur les pentes parfois sévères du parcours, la réflexion d’Oteiza qui, pour d’autres raisons, martelait à satiété : « le centre n’est pas au centre ! ».

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