Notre ami et lecteur de « La Lettre du Pays Basque », Jean-Marc Banquet d’Orx, nous rappelle fort opportunément cet épisode historique totalement inédit des Lettres françaises qu’il a trouvé dans ses archives : « En des circonstances similaires à ce que nous vivons, voilà ce que Madame de Sévigné écrivait à sa fille Pauline de Grignan :
"Surtout, ma chère enfant, ne venez point à Paris !
Plus personne ne sort de peur de voir ce fléau s’abattre sur nous, il se propage comme un feu de bois sec. Le roi et Mazarin nous confinent tous chez nous. Cela m’attriste, je me réjouissais d’aller assister aux prochaines représentations d’une pièce de Corneille dont on dit le plus grand bien.
Nous nous ennuyons un peu et je ne peux plus vous narrer les dernières intrigues à la Cour, ni les dernières tenues à la mode.
Heureusement avec ma chère amie, Marie-Madeleine de Lafayette, nous nous voyons discrètement, et nous nous régalons des Fables de La Fontaine, dont celle, très à propos, « Les animaux malades de la peste » ! « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés »".
Les Animaux malades de la peſte.
Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en ſa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La Peſte (puis qu’il faut l’appeller par ſon nom)
Capable d’enrichir en un jour l’Acheron,
Faiſoit aux animaux la guerre.
Ils ne mouroient pas tous, mais tous eſtoient frappez.
On n’en voyoit point d’occupez
À chercher le ſoûtien d’une mourante vie ;
Nul mets n’excitoit leur envie.
Ni Loups ni Renards n’épioient
La douce & l’innocente proye.
Les Tourterelles ſe fuyoient :
Plus d’amour, partant plus de joye.
Le Lion tint conſeil, & dit ; Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos pechez cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se ſacrifie aux traits du celeſte courroux,
Peut-eſtre il obtiendra la gueriſon commune.
L’hiſtoire nous apprend qu’en de tels accidens
On fait de pareils dévoûmens :
Ne nous flatons donc point, voyons ſans indulgence
L’état de noſtre conſcience.
Pour moy, ſatisfaiſant mes appetits gloutons
J’ay devoré force moutons ;
Que m’avoient-ils fait ? nulle offenſe :
Meſme il m’eſt arrivé quelquefois de manger
Le Berger.
Je me dévoûray donc, s’il le faut ; mais je penſe
Qu’il eſt bon que chacun ſ’accuſe ainſi que moy :
Car on doit ſouhaiter ſelon toute juſtice
Que le plus coupable periſſe.
Sire, dit le Renard, vous eſtes trop bon Roy ;
Vos ſcrupules font voir trop de delicateſſe ;
Et bien, manger moutons, canaille, ſotte eſpece,
Eſt-ce un peché ? Non non : Vous leur fiſtes Seigneur
En les croquant beaucoup d’honneur.
Et quant au Berger l’on peut dire
Qu’il eſtoit digne de tous maux,
Eſtant de ces gens-là qui ſur les animaux
Se font un chimerique empire.
Ainſi dit le Renard, & flateurs d’applaudir.
On n’oſa trop approfondir.
Du Tigre, ni de l’Ours, ni des autres puiſſances,
Les moins pardonnables offenſes.
Tous les gens querelleurs, juſqu’aux ſimples maſtins,
Au dire de chacun eſtoient de petits ſaints.
L’Aſne vint à ſon tour & dit : J’ay ſouvenance
Qu’en un pré de Moines paſſant,
La faim, l’occaſion, l’herbe tendre, & je penſe
Quelque diable auſſi me pouſſant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n’en avois nul droit, puis qu’il faut parler net.
A ces mots on cria haro ſur le baudet.
Un Loup quelque peu clerc prouva par ſa harangue
Qu’il faloit dévoüer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d’où venoit tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l’herbe d’autruy ! quel crime abominable !
Rien que la mort n’eſtoit capable
D’expier ſon forfait : on le luy fit bien voir.
Selon que vous ſerez puiſſant ou miſerable,
Les jugemens de Cour vous rendront blanc ou noir.
Jean de La Fontaine
Au bout de quelques heures à peine, un certain nombre de nos lecteurs ont évidemment découvert l'habile "pot-aux-roses" que nous a transmis notre ami Jean-Marc Banquet d’Orx et inspiré d'un paragraphe extrait d'un article de Mme Marie-José Lacourte publié dans la chronique du "Bottin Mondain" du 23 avril dernier, en quelque sorte un "poisson de mai" puisque pêché un 1er mai (au lieu d'un 1er avril) : félicitons tout particulièrement : M. Bonin : "Cette lettre est très étonnante, c'est le moins qu'on puisse dire ! Pauline de Grignan n'est pas la fille de Madame de Sévigné, mais sa petite fille, née en 1674; surtout, comment Madame de Sévigné pourrait-elle lui parler de mesures prises par Mazarin, mort en 1661 ?" Cyril Cuny : "Très étrange en effet. D’autres versions circulent, où il est question de Vatel (mort en 1671). C’est surement un fake". M. Constant J-Peter : "cette lettre est un habile pastiche, mais un pastiche tout de même !" et Françoise Laveille : "Intriguée par les dates, j'ai fait quelques recherches, et j'ai trouvé quelques incohérences: la fable de La Fontaine a été publiée en 1678, mais Mazarin est mort en en 1661. Par ailleurs, aucune épidémie n'est recensée à ces dates à Paris. Il semblerait que ce soit un faux, fort bien tourné par ailleurs, mais un faux tout de même..." Félicitations !
Légende : gravure au burin de Pierre Moitte d'après Jean Baptiste Oudry (1686-1755)