Samedi 11 mars dernier, Pax Christi France tenait sa réunion annuelle en partenariat avec « Le Jour du Seigneur » à l’Institut catholique de Paris sur le thème « De la citoyenneté à la fraternité », autour d’un parterre de conférenciers de premier intérêt.
Mgr Stenger, président du mouvement, accueillit les participants de quelques mots : « Vous les militants de la paix, les amis de la paix, les chercheurs de fraternité, dans notre monde agité, l’étranger peut surgir sans être attendu ni souhaité. Nous voici habités de deux exigences, la justice et l’humanité qui constituent les principes de toute vie sociale et du vivre ensemble pour rapprocher sans cesse les humanités pour le bien de l’homme de celui qui se présente à notre porte et à notre église »...
Madame Billet, Déléguée générale du mouvement, invita les intervenants à s’exprimer dans la diversité de leurs compétences et de leurs interrogations.
1 - Yves Michaud, philosophe, initiateur de l’université de tous les savoirs (www.utls.fr), chroniqueur de radio, enseignant, universitaire auteur de quarante-cinq livres publiés, intervint le premier sur la clarification de la citoyenneté et de la fraternité : « La confusion entre ces deux termes et leur rayonnement peut résulter d’une absence de réflexion philosophico politique. Il en sera de la définition de la citoyenneté elle-même adoptée par la devise française de 1848 ».
« La citoyenneté », souligne Yves Michaud, « relève de la communauté politique ; la fraternité, de la famille, sachant la pluralité des familles existantes aujourd’hui dans l’espace civil partagé. En distinguant les sentiments sociaux et les liens civiques de rapports de fraternité d’un registre sentimental différent qui, somme toute, reste une volonté de lutter contre les aveuglements par une relation bienveillante idéaliste du monde »...
La citoyenneté va de pair avec la nationalité, le citoyen est ancré dans la cité et se conforme dans les règles partagées de la res-publica. Historiquement elle est liée à la ville, à un territoire, à la différence d’une définition de la fraternité ecclésiale ou clanique. Elle établit les règles communes de sécurité et de paix acceptées.
La fraternité rejoint un rapport second personnel. Les non citoyens seront les étrangers, les ennemis parfois, qui ne bénéficient pas des mêmes droits à savoir au fil de l’histoire, les esclaves, les cerfs, les nomades, les marchands ambulants, les minorités, les enfants, les incapables, les aliénés et, jusqu’en1948, les femmes non reconnues par leurs droits au sein de la république.
Citoyenneté et fraternité, ce thème récurrent du propos du philosophe revient encore. Le contrat social est défini à savoir : à qui doit-on obéir, à quelle religion, et que garder des religions ou non, afin d’articuler des loyautés différentes civique et religieuse, s’agissant de reconnaitre le peuple souverain de l’état de nature qu’ils ont décidé de fonder en commun ?
Thomas Hobbes avait proposé une hiérarchie des règles du peuple souverain, des règles de la démocratie directe, et des représentants de cet Etat. Ces règles perdurent encore. Adhérer à cette pratique de la république demande une loyauté civique première : elle est première sur la fraternité personnelle qui est d’esprit familial.
« Retrouver les bases de chacune de ces appartenances sans les confondre pour mieux les conjuguer » devint l’argumentaire que le conférencier a soutenu par de nombreux exemples pour signifier que les rapports citoyen / fraternel appelaient des valeurs morales et spirituelles distinctes, à savoir la loyauté pour une adhésion républicaine, la justice et la solidarité dans le monde partagé fraternel d’une autre origine.
2 - Alfonso Zardi, du Conseil de l’Europe, responsable de la gouvernance des institutions démocratiques du COE, Conseil de l’Europe, intervient ensuite. « Quelle Europe pour le XXIème siècle, entre responsabilité et solidarité ? », tel était le sujet de son intervention.
A l’occasion des 60 ans du Traité de Rome, le conférencier fit un constat légitime aujourd’hui : l’Europe est au point mort, les crises successives, grecque, ukrainienne, syrienne et le Brexit ont porté un coup à la construction européenne. Et de développer ces enjeux pour l’unité européenne : « ce n’est pas par son rejet sinon par l’assurance d’une communauté humaine plus soudée et plus forte que l’UE portera sa force et son entreprise au cœur des conflits en cours. Si la menace porte sur le bien-fondé des institutions elles-mêmes, il revient de les relégitimer en rappelant que le quart du commerce mondial transite par l’Europe, 40 % de ces échanges concernent les pays européens entre eux, et affirmer combien l’Europe reste le premier financeur des aides au développement du reste du monde.
Et Alfonso Zardi d’insister : « la paix, les enjeux environnementaux et économiques, sont les défis du futur. Oui, sans doute, un déficit démocratique est réel et les relations des parlements européen et national pour chaque état sont difficiles. Retrouver la confiance est indispensable pour contrer la méfiance des citoyens envers les institutions européennes, pour choisir encore un destin ensemble et continuer le chemin balisé par les fondateurs ». Le conférencier cita abondamment le pape François lors de sa visite conjuguée au Conseil de l’Europe et au Parlement européen à Strasbourg. « Un acte libre d’espérance partagée, des racines profondes qui ont permis ce projet unique dans le monde d’une utopie saine et humaine des européens en premier lieu au bénéfice d’eux-mêmes » !
3 – Catherine Wihtol de Wenden intervient ensuite. Le sujet de son intervention est l’Europe face à la crise de l’accueil des réfugiés. Directrice de recherche au CNRS, docteur en sciences politiques à l’Institut d’Etudes politiques de Paris, spécialiste des migrations internationales, ses avis autorisés sont partagés à l’Ocde, à l’Onu, à la Licra, au Conseil de l’Europe. Femme engagée et de conviction, son intervention fut suivie avec un vif intérêt par les membres de Pax Christi présents. Auteur d’un atlas des migrations réédité plusieurs fois, la conférencière entra dans le vif du sujet avec des chiffres et des informations de premier intérêt.
Le thème des migrations humaines traverse ses multiples ouvrages, ses articles de revues, et les nombreux rapports produits par l’auteur.
De 1990 à 1993, trois pays européens, l’Allemagne, l’Autriche et la Suède s’illustreront par le nombre de réfugiés accueillis sur leur sol. Il fallait en ce temps-là répartir l’asile, et les accords de Dublin prévoyaient de conjuguer cette solidarité nord-sud de l’Europe, mais la promesse d’engagement des Etats ne fut guère suivie de faits tangibles et réels. On se défaussait sur son voisin pour régler le problème sur son sol national. Le réfugié type étant le dissident politique d’un autre pays européen de l’Est en l’état, il eut fallu élargir cette définition à d’autres populations étrangères qui n’avaient pas été prévues par l’agenda officiel des Etats. L’Allemagne maintint sa politique d’accueil évaluée à plus de 1 500 000 migrants de diverses provenances, la France atteignit 86 000 demandeurs d’asile, loin des mirages annoncés. Chacun s’inspire du Traité de Lisbonne sur la solidarité entre Etats européens qui, pour l’heure, souffre d’un déficit évident.
D’autres sujets en débat difficile sont évoqués par la conférencière, l’obtention des visas, des populations pour circuler librement, 173 pays sont à ce jour marqués et disqualifiés pour autoriser l’accès aux visas pour leurs ressortissants vers l’Europe et la France. La traite des humains, la prostitution des femmes au cours de leur exode, et des enfants sont des thèmes peu abordés...
Le droit international à la mobilité est mal réparti, 3,5 % de la population mondiale connaît le nomadisme, les guerres comme celle qui sévit en Syrie (qui a déplacé la moitié de sa population vers les pays voisins). Koffi Anan avait proposé de constituer dans le cadre de l’Onu une commission multilatérale sur les enjeux économiques de ces déplacements de population.
Les pays du Sud de l’hémisphère répondirent présents, les pays du Nord - dont les nôtres - ne participèrent pas à ces assemblées.
Et Madame Wihtol de Wengen de rappeler les églises, les associations humanitaires, les ong, les associations de migrants, les entreprises internationales et les Etats eux-mêmes, les syndicats et les partis politiques ne partageant pas les mêmes intérêts, de telles conférences restent confidentielles et de peu de portée.
Or, les 13 millions de sujets apatrides dans le monde, plus les sans-papiers, les ni-ni (expulsables ni régularisables), plus encore les mineurs, constituent ainsi une population en déshérence existe.
Elle demeure un défi pour la proposition de gouvernance des migrants publiée en 1990 par l’ONU, d’une efficacité incertaine dans un monde de désordre, auquel ni même le G8 ne semble prêter attention à ce jour. Et la conférencière de souligner que « de toute évidence, il restait des progrès à réaliser pour réunir la citoyenneté et la fraternité dans ce monde de la migration où bien des intérêts contraires prennent le pas sur ces avancées » !
4 – Marie Françoise Bonicel intervient ensuite. Son sujet est « Accueillir l’étranger, entre peur de l’autre et générosité, entre craintes raisonnées et peurs manipulées ». Diplômée de science politique et économique, enseignant et chercheur honoraire en psychologie sociale clinique, psychothérapeute, elle est l’auteur de plusieurs livres, dont « Ecole, changer de cap », « Entre mémoire et avenir »...
Au moyen-âge, l’accueil de l’étranger se disait une aubaine, une définition bien différente de nos jours, l’étranger relevait de l’imaginaire et des représentations si profondément ancrées dans notre conscient et bien au-delà. La peur de l’autre engendre le besoin de sécurité de l’enfant qui sommeille en nous, l’humanité en croissance faisant œuvre de civilisation collective et intérieure au fil de la vie. Bien illustré par Caïn et Abel, la tradition biblique rappelle que « l’autre vient occuper notre place ». Etre l’autre est toujours être l’autre de quelqu’un. La « fratitude », mot attribué à Lacan, n’est jamais un lieu apaisé, dira M.-F. Bonicel. Projeter sur les autres mes conflits personnels engendre la peur, maligne conseillère qui éveille un retour en arrière et renonce à la marche en avant de l’esprit.
Or, « pas de société sans loi, pas davantage de foi partagée sans amour » !
Apprendre à modérer les rivalités fraternelles, archaïques, d’une influence inconsciente de la maturation psychologique personnelle, peut engendrer bien des états de psychose. Dans un livre sur « La peur au moyen-âge », Jean Delumeau donnait à savoir dans quel monde on vivait en ce temps-là. Et M.-F. Bonicel d’appeller l’humanité « à ouvrir une brèche à notre propre enfermement, sur ce chantier de l’humain, à reconstruire à chaque étape de la vie, sa propre identité, distincte de l’héritage-patrimoine reçu des Anciens. Notre horizon commun nous réunit, en redécouvrant l’horizontalité de nos vies nous embrassons ce fond messianique partagé car selon le propos de Gaston Bachelard : “le moi s’éveille sans cesse par la trace du toi “!
5 – Guy Aurenche, fondateur de l’Acat, président honoraire du Ccfd, aborda le thème « quand l’étrange devient étranger ». Avocat à la Cour d’Appel de Paris, son témoignage traverse son propos. Ami de l’abbé Pierre, il évoque avec tendresse le franciscain des corps et des âmes qu’il fut, de civisme et de fraternité. « Bienheureux les fêlés, ils laissent passer la lumière », est son mot préliminaire. Etre citoyen auprès de ceux qui appellent au secours, image de Teilhard de Chardin se faisant le chantre de Dieu auprès des plus petits des humains. La fraternité évite de réduire Dieu, servir la fraternité universelle donne de voir la grandeur de l’homme au cœur de son âme, de son esprit et par la discipline de son corps. Les nuits du monde sont enceintes, nul ne sait ce qui en naîtra !
Le conférencier, devenu le défenseur des plus fragiles, rappela « les nécessités du partenariat, de la solidarité vitale du moment, l’extrême puissance détruisant le frère, et toute vie sociale », dira-t-il. La finitude du monde aujourd’hui est appel à partager, à correspondre, à l’échanger et à la solidarité. La fraternité est la boussole de sens de toute vie, l’homme moderne est comblé mais las, sans espérance. Et le propos se ravise, les chemins de foi de la fraternité sont les chemins essentiels d’une vie pleine de sens. Notre regard sur les étrangers et les migrants reste le révélateur de l’état du monde et de notre présence au cœur des enjeux de l’économie mondiale en profonde mutation.
6 - Le carrefour suivant réunit un panel inter-religieux, issu du monothéisme, le frère Maxime de la communauté de Taizé, le rabbin Boissière, du Mouvement juif libéral de France, et Mohamed Khoutoul.
Au nom du bien commun et de la fraternité présente en toute religion et église, chacun avec ses mots appella à revenir à ses sources et à se laisser revisiter par le lien à l’autre et par l’autre.
Les religions, comme rapporté par plusieurs intervenants, ont une mission à tenir dans les communautés elles-mêmes. Avec des touches plus ou moins graduées, les familles spirituelles sont dans le terreau des humanités comme les vigies de la fraternité.
7– Il revint à Dominique Coatanéa, doyenne de la faculté de théologie de l’Université catholique de l’Ouest, de proposer ses réflexions de relecture d’une rencontre faste à l’heure d’échéances publiques imminentes. Pax Christi, fidèle à sa vocation originelle, n’a pas manqué de poser quelques jalons explicites pour tout homme ouvert à la fraternité en ces temps tourneboulés où le pire et le meilleur cohabitent dans l’effusion des messages à propos des étrangers, migrants, de mondes distincts du nôtre, mais communs à notre destin partagé !
François-Xavier Esponde
Pax Christi Bayonne Tél. 06 76 61 89 31 / 09 62 58 34 63