Parmi les pièces composant le manuscrit appelé « Codex 60 », provenant du royaume de Pampelune et conservé au monastère de San Millan de la Cogolla - dans cette partie de la Rioja qui ne fait plus partie du territoire basque -, on trouve entre autres des sermons de saint Augustin avec des annotations en basque, sans doute pour aider à comprendre le texte latin, constituant les premières traces écrites de l’Euskara qui était parlé dans une grande partie de l'Ouest de La Rioja et même au Sud de cette région (voyez notre article « Les premiers écrits basques dans les monastères »). Mais qui était ce saint déjà révéré fort anciennement en Navarre ? François-Xavier Esponde en dévoile l’histoire, liée à celle de sa mère, sainte Monique.
ALC
1- Une complicité fusionnelle.
Inséparables dans la vie, inséparables dans la foi personnelle, Monique et Augustin fêtés pour la mère le 27 août et pour le fils le 28 août de chaque année sont deux phares d’exception de l’Orient dans notre histoire spirituelle chrétienne.
Berbère de naissance mais romaine d’appartenance, Monique appartenait à une ancienne famille chrétienne de l’actuelle Algérie ; elle était née en 322 à Souk Ahras – localité située entre Carthage et Hippone - et décédera en 387 à Ostie en Italie.
Monica, diminutif de Monna, était une divinité païenne locale selon une tradition ancienne toujours en usage dans la communauté berbère. Mais Monique parlait le latin et communiquait ainsi avec des Romains de l’Empire en cette région placée sous leur protection.
A 23 ans, elle donne naissance à Augustin, ce fils d’exception qu’elle eut de Patricius, son compagnon, qui lui donna un autre fils, Navigius, et une fille dont on a perdu le prénom.
A l’époque, dans cette région de Thagaste, la tradition en usage ne conférait le baptême qu’une fois adulte. Augustin, selon ses écrits, en tint rigueur à sa mère. Il demandera le baptême plus tard, à Milan, en Italie.
Avant tout soucieuse de l’éducation de son fils, Monique y consacra tous ses moyens et son énergie comme rappelé par Augustin dans son « Livre des Confessions ». A dix-sept ans, l’adolescent sera envoyé à Carthage pour parfaire ses études mais le jeune héliacin restera libre en ses aventures. Aux études, il ajouta une activité débordante de distractions qui lui fit rencontrer une jeune fille dont il aura un fils - nommé Adéodat - d’une mère sans doute d’origine esclave, non romaine, et probablement non berbère comme lui !
Tout cela contrariera fortement Monique.
A Carthage, Augustin se livre aux études philosophiques de Cicéron dont il dévora le traité philosophique « Hortensius », un classique de la culture latine de son temps. Le jeune Augustin est brillant, supérieurement intelligent pour son âge. Les maîtres de Carthage le dirigeront vers Rome contre la volonté souveraine d’une mère qui refuse l’exil d’Augustin vers la capitale de l’Empire.
2 – En route pour l’Italie.
Augustin prend le chemin du Latium et se familiarise avec les doctes philosophies de son temps.
Mais le jeune rhéteur est un être en recherche insatisfait, curieux et désireux de comprendre toute vie. La pensée néo-platonicienne en cours lui ouvre de nouveaux horizons philosophiques.
La quête du sens de sa vie, la quête de la mémoire, de la vie spirituelle et de l’Au-delà, de la Création et des sens engagent cette curiosité insatiable dont les 9 livres compilés des Confessions et des Dialogues constituent un chef-d’œuvre de l’intelligence spirituelle de ce penseur supérieur.
Augustin est fasciné par Ambroise de Milan, un évêque dont les sermons en latin rayonne dans l’Empire. Il entretiendra avec ce dernier une relation intellectuelle et philosophique qui le conduisit à recevoir le baptême des mains de cet homme de Dieu. A 33 ans, il est au faîte de sa notoriété intellectuelle de philosophe et sa mère Monique décide de le rejoindre en Italie où le lien indéfectible de cette mère et de son fils ouvrira une page neuve de cette relation. Monique veut marier son fils à une noble milanaise et, pour ce faire, entreprend les formalités pour demander à Augustin à renoncer à la liaison qu’il entretient avec sa première compagne et à son fils Adéodat qu’elle décide d’adopter pour l’élever. Or, les circonstances de la vie verront et la mère et le fils mourir et disparaître de l’entourage d’Augustin. Une douleur intense pour cet homme retrouvant sa mère dans le chagrin et dans les épreuves.
Retiré à Rome dans une villa de Cassicianum, Monique et Augustin partageront une vision dénommée la vision d’Ostie comme une forme d’élévation mystique de l’intelligence qui rejoint par l’intuition l’Etre divin embrassant pour la mère et le fils une jubilation partagée ensemble, « la vita beata », le bonheur mystique recherché par les visionnaires.
Tous deux décident alors de quitter Rome pour leur contrée berbère d’origine, mais la mort brutale de Monique à l’heure retarde ce départ.
Augustin partira seul avec quelques fidèles de son école philosophique comme d’usage dans L’empire. Ayant déposé en terre à Ostie sa mère, c’est en proie à un immense chagrin qu’il retourne chez les siens, à l’orée d’une « nouvelle » vie qu’il ne soupçonne pas encore !
3 – Retour en pays berbère
Après cinq années de présence en Italie, Augustin revient donc chez les siens. Le penseur poursuit ses travaux d’écriture. « De la vraie religion » est une étude contre le mouvement manichéen avec lequel il engage une dispute théologique d’importance pour restaurer la vraie doctrine et, selon ses termes, la purifier de ses interprétations erronées.
Mais une autre aventure l’attend. Il était d’usage dans l’église primitive de choisir les évêques et les prêtres dans la communauté elle-même. L’évêque d’Hippone, un dénommé Valérius, est d’origine grecque, parlant peu le latin et pas du tout le berbère (Hippone, en latin Hippo Regius, est le nom antique de la ville de Bône (Annaba) se trouvant au Nord-Est de l'Algérie, ndlr.).
En 395, le voici désigné « sur le champ » évêque de ce diocèse, succédant à Valérius en vertu de la vox populi en usage dans les premiers siècles de l’Eglise.
Augustin est un penseur. Il le demeura et relut ses travaux mémorables : « Les Confessions », « Le Traité de la Trinité », son livre « De la Cité de Dieu », et le dernier, « Les Rétractations », qui préfigure la fin de sa vie. On cite encore ses lettres adressées à une certaine Pauline, une noble romaine qui l’interroge sur sa foi chrétienne.
L’homme est exceptionnel. Augustin a imprimé jusqu’au Moyen Age son empreinte et de grandes traditions spirituelles dont le franciscanisme furent d’inspiration augustinienne.
La foi de sa mère, la connaissance de son fils, engendrèrent une fécondité intellectuelle unique.
Vénérés dans l’Orthodoxie et chez les catholiques, Augustin et Monique furent inséparables !
François-Xavier Esponde