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Livre
Léon Bonnat, au delà des portraits, par Guy Saigne
Léon Bonnat, au delà des portraits, par Guy Saigne

| Guy Saigne, docteur en Histoire de l'Art 2038 mots

Léon Bonnat, au delà des portraits, par Guy Saigne

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1 - Adam dans la création d'Eve, d'après Michel-1859,Ange - Collection particulière. ©
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2 - Figure de la Chapelle Sixtine, d’après Michel-Ange, non daté (1858-1861, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. ©
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3 - Le Vendredi Saint à la chapelle Sixtine.jpg ©
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Dans un magnifique coffret cartonné de grand format, le second volume du catalogue raisonné de l’œuvre de Léon Bonnat de Guy Saigne vient récemment d’être publié. Qu’apporte-t-il de nouveau ? 

« J’ai publié en 2017 le premier volume du catalogue de l’œuvre du grand artiste bayonnais sous le titre « Léon Bonnat, le portraitiste de la IIIe République ». C’était en fait la thèse de doctorat que j’avais soutenue en 2015 à l’université Paris Sorbonne (devenue aujourd’hui Sorbonne Université), sous le titre « Léon Bonnat portraitiste », fruit d’un long travail de recherche, puis de rédaction sur l’artiste, commencé en 2004. Ce livre a reçu en 2018 le Prix Jacques de Fouchier, Grand Prix de l’Académie française.

Ce premier ouvrage couvrait la partie la plus importante et la plus connue de l’œuvre de l’artiste, ses portraits. Léon Bonnat (1833-1922) a peint des portraits tout au long de sa vie, depuis l’adolescence jusqu’aux derniers mois de son existence ; mais la peinture de portraits ne devient prioritaire, presque exclusive, qu’à partir de 1875 lorsqu’il expose au Salon le majestueux portrait de Mme Pasca, la grande comédienne, qui remporte un énorme succès et lui apporte la renommée dans ce genre si particulier, si difficile. Cette réputation de portraitiste de tout premier plan sera renforcée avec la présentation au public des portraits iconiques du président de la République Adolphe Thiers (1876) et de Victor Hugo (1879). A partir de 1875, l’artiste se consacre donc principalement au portrait. Agé de 42 ans, il est déjà en pleine maturité. Quel est le long chemin qui l’a conduit jusque-là ? Quelles priorités s’est-il fixées dans les vingt-cinq premières années de formation (1850-1861), puis de début de carrière (1861-1875) ? Quels choix artistiques a-t-il été amené à faire, quelles hésitations a-t-il dû surmonter, quelles difficultés morales et matérielles a-t-il dû affronter ? C’est l’objet de ce second livre, intitulé « Au-delà des portraits », qui sera en librairie dans les prochains jours.

Le premier volume évoquait déjà, dans son essai introductif et de façon résumée, le début de carrière de Léon Bonnat dans la peinture religieuse, dans les compositions décoratives ou dans les scènes de genre italiennes et orientalistes. Le second détaille, approfondit son activité dans la peinture autre que de portrait avant et après le grand tournant de 1875, et fournit le catalogue commenté des œuvres produites. Il porte donc principalement sur la période d’apprentissage à Madrid (1850-1853), à Paris dans l’atelier de Léon Cogniet et à l’Ecole des beaux-arts (1854-1857), en Italie (1858-1861), puis sur son début de carrière après son installation à Paris en 1861, il décrit les choix du jeune peintre et ses premiers succès dans la peinture religieuse, - qui appartient au « grand genre » dans lequel Bonnat, comme tout jeune artiste ambitieux, rêve de briller et d’être reconnu - , puis dans les scènes de genre italiennes, enfin dans la peinture orientaliste. La peinture religieuse est par ailleurs l’acte de foi d’un jeune homme profondément croyant.

Le second volume décrit ainsi la place importante et reconnue que Bonnat prend dans la peinture religieuse, puis dans les grandes compositions décoratives commandées par l’Etat et destinées à la décoration des édifices publics avec, par exemple, la décoration de la cour d’assises nord du Palais de justice de Paris comprenant le fameux « Christ » (1874), impressionnant exemple de son choix du réalisme dans la peinture religieuse et décorative. Le « Christ » et ses autres productions dans le grand genre contribueront à faire de lui le chef de file d’une peinture religieuse réaliste dans une fin de XIXe siècle encore très attachée à la tradition, en particulier dans la représentation divine. Même si le portrait est sa priorité après 1875, Bonnat continue à peindre, de sa propre initiative, des sujets religieux (« La Lutte de Jacob avec l’Ange », « Job », « La Jeunesse de Samson »), et à recevoir des commandes publiques de grandes compositions décoratives - par exemple pour le Panthéon, l’Hôtel de Ville et le Palais de justice de Paris - qu’il réalisera parallèlement à ses portraits. Mais ces œuvres du « grand genre » seront plus rares.

Le premier volume a permis de découvrir un Bonnat « officiel », je l’espère, un personnage public, homme des institutions, de la société bourgeoise, des salons…statut social que le succès, la renommée, la fortune, donc son talent et ses qualités personnelles, humaines lui ont permis d’atteindre. C’est ce statut, conforté dans sa maturité, qui s’est concrétisé dans ses nombreuses fonctions officielles, dans l’importance de ses réseaux relationnels, dans la qualité des salons dans lesquels il est reçu. Bonnat est régulièrement élu ou désigné membre des jurys du Salon de peinture parisien ou de salons étrangers, il est membre du Conseil supérieur des Beaux-Arts et de la Commission administrative des Beaux-Arts de la Ville de Paris à partir, respectivement, de 1875 et 1900, il est élu à l’Académie des beaux-arts en 1881, en sera le président à trois reprises, cumulant à la troisième occurrence (1915) la présidence de l’Académie des beaux-arts et celle de l’Institut, il est vice-président (1896) puis président (1899) jusqu’à sa mort du Conseil des Musées nationaux (ancêtre de la RMN), il est élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur en 1900 et membre du conseil de l’Ordre de la Légion d’honneur de 1895 jusqu’à sa mort, il est professeur de dessin et de peinture à l’Ecole des Beaux-Arts en 1883, puis professeur chef d’atelier de peinture en 1888 jusqu’à sa nomination à la direction de l’Ecole des beaux-arts en 1905, fonction exercée également jusqu’à sa mort… Un parcours officiel, public, exceptionnel. Bonnat est, dans sa vie privée, un habitué des salons parisiens, souvent les salons de ses modèles féminins, est reçu par ses clients, qui deviennent ses amis, est invité dans leurs propriétés de campagne, participe à leurs parties de chasse, à leurs soirées.... Son succès public lui assure également une place importante auprès de ses confrères artistes, dont il devient souvent le représentant auprès des institutions.

Dans ce second volume, c’est Bonnat adolescent, jeune adulte, avec ses ambitions, son courage, mais aussi ses doutes, ses moments de désespoir, c’est son attachement à sa famille, à son Pays basque natal, à ses amis, son obligation de faire face à une situation familiale et matérielle difficile, et la foi profonde qui le guidera dans ses jeunes années et l’accompagnera toute sa vie, que nous découvrons…, c’est donc Bonnat intime qui se révèle au lecteur.

Cette découverte plus personnelle de Bonnat a été faite en suivant la règle fondamentale des études d’histoire : « L’histoire se fait avec des documents » (Charles Victor Langlois, Charles Seignobos, 1898), déjà appliquée scrupuleusement pour les travaux de recherche et de rédaction conduits pour le premier volume. Elle s’appuie pour une grande part sur certaines des 250 lettres adressées entre 1856 et 1911 - et surtout entre 1856 et 1869 - par l’artiste à son « ami des bons et des mauvais jours », Arnaud Détroyat, depuis Paris lors de son séjour dans l’atelier de Léon Cogniet, depuis Rome entre 1858 et 1861 puis à nouveau depuis Paris, alors que son ami habite Bayonne, lettres remarquables, riches d’un contenu très personnel, d’une spontanéité toute juvénile pour les plus anciennes, qu’il m’a été donné de consulter grâce à l’obligeance et à l’amitié de Bruno Détroyat, arrière-petit-fils d’Arnaud Détroyat.

Le merveilleux autoportrait peint en 1855, à Paris, à l’âge de 22 ans, reproduit sur le coffret du second volume, complète cette découverte de la personnalité de Bonnat jeune en illustrant parfaitement la mélancolie, les doutes du jeune artiste, ses états d’âme, la nostalgie du Pays basque chéri, des Pyrénées désormais lointaines.

Guy Saigne, Léon Bonnat – Au-delà des portraits – Catalogue raisonné, volume 2, Paris, Mare & Martin, 2022, 333 pages.  Infos  mail de Guy Saigne : guy.saigne@gmail.com
Légendes :
1- Première de Couverture, autoportrait de Bonnat, huile, 1855, 46 x  37,5 cm, musée d'Orsay
2 – Léon Bonnat, Adam, dans « La Création d’Eve », d’après Michel-Ange, crayon graphite et sanguine sur papier, 1859, 
25 x 35 cm, collection particulière.
3 – Léon Bonnat, Figure de la Chapelle Sixtine, d’après Michel-Ange, mine de plomb sur papier, non daté (1858-1861), 
23,9 x 33,4 cm, Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
4 – Léon Bonnat, Le Vendredi saint à la chapelle Sixtine, huile sur toile, 1860, 48 x 27 cm, collection particulière.
 

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