1 – Le patrimoine olfactif français
Les senteurs et les odeurs soumises à la surveillance sanitaire semblent avoir retrouvé par le fait, un intérêt et une attirance de la part de chacun.Le plaisir des sens de fragrances parfumées où dominent les épices, l’arome de fleurs sauvages et celui de la vigne seraient à l’origine de provenance royale disent les historiens. On prête aux Romains l’usage de parfums mêlés à l’outrance avant les banquets coutumiers de leurs retrouvailles nombreuses aux fortes émanations, plus proche des ingrédients de cuisine que de ces raffinements obtenus depuis dans les laboratoires par leur étude chimique et leur extraction naturelle.
L’Osmothèque de Versailles, à l’Institut Supérieur International du parfum, de la Cosmétique et de l’Aromatique alimentaire est un conservatoire qualifié et autorisé de cette discipline scientifique.
La France dispose de la sorte d’une compétence reconnue de la parfumerie internationale qui permet en ses laboratoires de fabriquer ces senteurs antiques abandonnées, relatées dans le texte comme celui de Pline l’ancien dans son Histoire naturelle.
27 ingrédients aux noms charmeurs, l’huile de ben, la cannelle, la sue de noix de comaque, le jonc odorant de Syrie, la myrrhe.. et nous voici transportés dans ces contrées orientales qui fleurent l’exotisme et le secret imparable !
L’Osmothèque inaugurée en avril 1990 abriterait plus de 4500 parfums dans des fioles rangées, préservées, gardées comme des trésors olfactifs de l’humanité.
On peut y sentir les eaux de Cologne de l’empereur Napoléon ex exil en 1815 qui fut un grand consommateur de parfums dont il aspergeait les chevaux et qu’il buvait même en pratiquant le “canard florina” en y trempant un morceau de sucre..
La cave de l’Osmothèque renfermerait dans ses réfrigérateurs à l’abri du soleil ces précieuses liqueurs racontant l’histoire du monde et les trésors de leurs bienfaits pour les générations humaines.
Leur provenance, animale, marine, ne fait mystère pour certaines, et le charme inattendu de leur désignation éveille la curiosité des visiteurs : concrétion intestinale du cachalot, “coucougnettes de castor” une glande interne servant à graisser le poil, et nous voilà en phase inespérée avec les espèces naturelles les plus inattendues pour flatter nos sens olfactifs.
La pandémie subie jusque dans nos usages hygiéniques les plus intimes semble avoir réveillé un désir renouvelé de réenchanter le quotidien confiné de nos vies, on usant de tels parfums pour s’en soulager.
Dans l’Antiquité les parfums représentaient des médicaments, et une protection contre les virus désignés comme des “miasmes,” à savoir les microbes. Tels la peste et les épidémies jusqu’au XIXème siècle, où le médicament chimique prit depuis le pas sur le parfum mais ne le remplaça dans les usages privés de la vie.
Le premier parfum protecteur connu de la part des chimistes de la chose serait “le kyphi “qui existait dès le VIIème siècle avant JC.
Reconstitué en parfumerie, on le pratiquait jadis pour soigner les maladies pulmonaires, intestinales, pour restaurer les défenses immunitaires et pratiquer l’euphorie et l’excitation sensorielle de l’individu soumis à cette médication.
Le parfum était pour les empereurs “la sueur des dieux du Nil”, en Egypte, le berceau premier de la parfumerie.
Pour se défendre de la peste et des miasmes qui pouvaient favoriser la propagation virale dans ces eaux putréfiées de la nature, on se parfumait à l’outrance.
Au Moyen-Âge ce furent les pommes de senteurs que l’on portait dans ses bagages pour se protéger des épidémies considérées comme “des corruptions meurtrières de l’air.”
En 1370, apparait selon les chroniques , la première formule alcoolique d’occident. à base de romarin et d’esprit –de - vin, l’eau dite de la reine de Hongrie.
La succession des pestes noires de 1348, de 1520-35, puis de 1628 à 1631, les parfums, les médications, les pilules aromatiques, les feux de bois odorants, les gants parfumés vinrent à la rescousse, pour se prémunir des vapeurs venimeuses.
Nulle illusion qu’il suffirait de propager de telles essences aujourd’hui contre les virus, mais ce retour en grâce des parfums exotiques et anciens a le mérite psychologique d’une éducation olfactive malmenée par la généralisation du masque et ses effets implicites sur cette faculté naturelle émancipatrice protectrice chez l’homme.
Au XVIIème siècle, disent les chroniques du temps, les parfums contenaient du sang et des substances animales comme le musc, l’ambre, la civette..
Aujourd’hui les clients redemandent des substances qui ont du sens et des provenances plus anciennes.
Les soldats romains se parfumaient continument, recherchant une assurance devant l’adversité. Non tant pour séduire que se rassurer.
Il semblerait que de telles attitudes soient en phase avec les attentes de concitoyens pour le moins contrariés et contraints dans leurs modes de vie, par la présence d’un virus dérangeant de leurs libertés.
Pline l’ancien ne portait à l’usage des parfums un intérêt patent sinon le qualifiait de “luxe inutile”, les concitoyens qui nous entourent semblent partager le travail des laboratoires chimiques qui travaillent contre les virus de concert avec celui de ceux qui fabriquent des fragrances du présent.
Sans volonté de comparer leur nature, ni leur bénéfice sur l’humanité, la dualité des bonnes senteurs qui restaurent le bien vivre sociétal ne paraitrait antagonique de celui des médications qui réparent des fragilités sanitaires du présent.
Les Anciens ne les excluaient guère. S’agissant d’apaiser la douleur physique d’un réconfort psychique, sans lequel la thérapie de l’une ne semblerait suffire à la santé de la seconde, et aux jouissances naturelles du bien être de tout un chacun !
En France, pays des sens, du goût, de l’ouïe, de l’odorat et de la vue, on pourrait un jour fabriquer le parfum dé-confiné patenté d’un nom circonstancié, qui rappellerait la fonction du parfum espampillé d’une époque et d’un temps de rémission de ce virus daté.
2 – La hiérarchie des sens, et d’une éducation.
Dans un livre édité dès 1982 par Alain Corbin, historien français du XIXème siècle, Le miasme et la jonquille, le sujet fait l’objet d’un commentaire.
En France on privilégie l’ouïe et la vue à l’odorat et au toucher, selon l’auteur.
Pour chaque époque le lien à l’odorat est différent. Sous Louis XIV on disait que les couloirs des châteaux étaient pestilants, sans sanitaire, sans hygiène. "Ça puait“, selon les chroniques de l’époque, jusqu’à la venue de Marie Antoinette qui fit ajouter dans son intérieur un wc, totalement inédit pour ce temps.
- On peut lire le lien à l’odorat selon deux méthodes, souligne encore Alain Corbin, le rapport à la prophylaxie d’Hippocrate, dès le IVème siècle avant JC, où “la mauvaise odeur reconnue malsaine doit être traquée et éliminée.”
Il faudra attendre le XVIIIème siècle pour utiliser la javel et le chlore et répandre ces détergents dans les habitations domestiques.
- La seconde méthode plus sociale aura pour objectif de se démarquer des autres dégageant de fortes odeurs en utilisant les eaux de toilette, les robes colorées de couleur pastel, et se protégeant des senteurs corporelles que rappellent le musc, l’ambre et la civette prisés jusque là.
Emile Zola le rapporta dans son roman les Rougon – Macquart, pour qui la séduction emprunte des senteurs différentes selon les appartenances sociales de la féminité.
Il n’y eut en cette occurrence aucune exigence de fait convenu. Joséphine martiniquaise qu’apprécie Bonaparte lui aurait écrit au retour de guerre, “ne te lave pas, j’arrive”..!
Comme en toute règle l’exception confirma cependant la volonté des élites de ce temps d’adopter des effluves raffinées de senteurs moins exotiques !
Depuis Platon en France la hiérarchie des sens pratiquée se référait davantage à l’ouie et la vue, laissant au toucher et à l’odorat le privilège rustique d’une éducation plus ancienne.
Cependant l’histoire corrigea de telles assurances. Paris fit l’objet d’antan d’une désinfection généralisée à l’initiative de Jean Noël Hallé médecin de son état se drapant dans une fonction de “sentinelle de l’odorat” au bénéfice sanitaire d’une ville peu ou prou entretenue de la sorte.
Jean Jacques Rousseau, littérateur français entra dans le jeu et défendit l’odorat et la faculté d’en jouir par le sens de l’imagination et du désir, dont il fit la promotion contre ceux qui pourfendaient ces usages primitifs et populaires.
Plus proche de notre époque, en 1968 l’interdit d’interdire des bonnes manières de l’éducation, une jeunesse libertine se plut à bruler les codes de l’élite dominante.
En adoptant le rejet de l’hygiénique pour un état de vivre proche du naturel sans contrainte, mais la transition de la chose ne dura guère longtemps, si l’on put en juger par la suite des conduites acquises des mêmes élites élevées depuis à leurs hiérarchies sociales.
Aujourd’hui, qu’en sera-t-il dès que l’on retirera les masques qui nous gouvernent dans nos relations sociales ?
On parvient à en sourire à peine comme d’un déguisement fonctionnel et passager d’un carnaval qui dure et pourrait durer plus que prévu ?
Silence, ne le sachant, nulle promesse, nulle prédiction.Notre faculté de respirer librement étant somme toute confinée par ce fichu sur le nez et la bouche, les sens de la nature contrariés et comprimés pour les raisons que l’on connait, pourraient se révéler rebelles d’une conduite qui demanderait à terme la délivrance, et le droit de jouir librement de la vie, loin de telles précautions !