Au début du mois de février, de nombreuses localités du Pays Basque sont parcourues par des groupes de chanteurs armés de makilas dont ils frappent le sol en rythme et portant une lanterne. Ils sont accompagnés des bertsularis (improvisateurs) qui usent de leur style incisif et volontiers moqueur – parfois louangeur – auprès des hôtes qui les reçoivent : ce sont les rondes chantées en l’honneur de Sainte Agathe dont la fête tombe le 5 février. Mais au Pays Basque, on la fête également la veille (« Agate Deuna Bezpera » en euskera). A Biarritz, les petits chanteurs des écoles bilingues ont déjà défilé jeudi (2 février) en découvrant les lieux de diffusion de l’euskera. Ils ont précédé les adultes qui empoigneront leur bâton ce samedi, à Biarritz, au Musée Basque de Bayonne ou à Hasparren. Mais c’est en Biscaye que les rondes de Sainte Agathe sont les plus nombreuses. Par exemple à Orozko, dans l’extrême Sud-Ouest de la province, le chœur de la ville parcourt les rues et les quartiers interprétant les chants traditionnels liés à cette festivité. Après avoir chanté pour la dernière fois, sur la place communale, il récite un « Gure Aïta » Notre Père en l’honneur des défunts de l’année avant d’entamer, au rythme des bâtons, les treize couplets qui composent le chant de cette journée. Et un sanctuaire est consacré à Sainte-Agathe à Kastrexana (près de Barakaldo), situé à mi-hauteur du mont Arroletza (452 m.), sur ses contreforts.
Si les Basques du Sud entretiennent la tradition la veille de cette fête, de notre côté, l’habitude a été prise de la déplacer au samedi qui suit (ou qui précède) pour des commodités de calendrier : ainsi, cette année, les rondes auront lieu généralement ce samedi 4 février.
Une sainte écologique et féconde
Pourquoi fête-t-on la Sainte Agathe au Pays Basque ?
Il semblerait que cette belle tradition remonterait au moins au XVIIIe siècle : en 1764, on signalait déjà des « romerias » qui attiraient des milliers de visiteurs, entre Basatxu et Santa Águeda dans les environs de Bilbao comme à Arrasate-Mondragon, autour de nombreux stands proposant des produits de la ferme et des boissons.
Car, ce n’est pas un hasard si à la Sainte Agathe « on sème les poireaux, même par temps de neige, et les oignons, même dans la glace en gage d’une fertilité retrouvée. La sainte était aussi fêtée dans toute l'Europe pour être la patronne des nourrices : elle était née en Sicile et, comme Sainte Lucie, le gouverneur romain Quirinus l’avait martyrisée en lui coupant les seins.
En fait, Sainte Agathe « entre dans le cycle de fécondité qui parcourt le temps de début février et qui forme un cycle cohérent autour de la Purification-Chandeleur du 2 février, période liée au retour de la lumière avec les jours qui allongent, et le retour de l'abondance de la nature après la torpeur de l'hiver ». D’où la tradition de porter la lumière (avec des lanternes) chez les hôtes que l’on souhaite honorer, lesquels, à leur tour, répondent en offrant aux chanteurs des mets et des boissons. Certains reliaient également cette tradition à une tournée des maisons avant le départ des conscrits pour l’armée…
De Barcus à Saint-Palais
Philippe Oyhamburu se souvient d’avoir relancé à Biarritz, en février 1950, cette coutume en usage à Bilbao et en Euskadi : « J’avais repris point par point cette organisation, sans oublier un aspect important que les Basques-sud réfugiés à Biarritz connaissaient bien et qui consistait à sustenter les choristes, et surtout à les abreuver avant qu’ils ne repartent dans la nuit froide de février. Nous nous étions empressés de prévenir à l’avance les gens visités ».
Les souvenirs ne manquent pas de cette époque : la belle lanterne du vestibule de Jesus Maria de Leizaola (ancien président du gouvernement basque en exil) qu’un coup de bâton intempestif avait brisée au moment du « eup » final où on lève son bâton au lieu d'en frapper le sol ou, à Biarritz, les arrêts devant l’épicerie de Félix Arostéguy qui était le dirigeant d’Oldarra à l’époque, et chez Miremont où les sœurs Etcheverry régalaient des pâtisseries qui restaient de la journée.
Cependant, après avoir consulté divers ouvrages et archives, Philippe Oyhamburu avait découvert que la coutume de fêter la Sainte Agathe était répandue dans tout le Pays Basque : « cette fête a laissé une chanson à Saint-Palais où Santa Ageda fut longtemps à l’honneur et, chez Azkue qui avait étudié de si près les traditions basques, on trouve une légende originaire de Barcus en Soule : alors qu’une maîtresse de maison cuisait son pain dans le fournil, elle avise un chat qui lui en mange un bout. Lui criant « va-t-en, chat ! », l’animal lui répond : « je ne suis pas le chat, je suis Sainte Agathe »… Et la femme de se retourner pour voir sa maison en flammes » ! Car, selon d’anciennes croyances, le jour de la Sainte Agathe, nulle part on ne faisait de pain ou de lessive.
Les rondes de Sainte-Agathe débuteront ce samedi matin 4 février à Biarritz grâce aux chanteurs d’Arroka, avec les bertsularis Laka et Battitt Crouspeyre : départ à 10 h au quartier Saint-Charles, vers 11 h 30 à la mairie, 12 h 40 rue Pioche ; suite des rondes l’après-midi : à 16 h devant la librairie Eki au 16 avenue de Verdun, à 17 h 30 à Plazea Berri et 18 h 30 au bar du Polo (Saint-Martin), puis quelques maisons en soirée.
Egalement, au Musée Basque et de l’histoire de Bayonne, ce samedi 4 février à partir de 16h, on fêtera Santa Agata avec le groupe Errobi Kanta, en présence du peintre navarrais, Juan Carlos Pikabea qui expose au musée jusqu’au 16 février. Il accueillera le public pour une visite commentée, suivie d’une dégustation autour de spécialités navarraises et d’animations musicales (Musée Basque – Entrée libre).
A Ayherre et Hasparren, un groupe de jeunes chanteurs s’est également constitué pour fêter Sainte Agathe et soutenir les prisonniers basques : rendez-vous à la mi-journée à Eyhartzea (Hasparren), avec musique, danses et casse-croûte.
Et, partout dans la diaspora, à l’unisson du Pays Basque, les couplets de Sainte-Agathe seront entonnés, comme ceux de la chorale Eresoïnka enregistrés en 1937 et réédités il y a quelques années par Agorila.
Alexandre de La Cerda