Sonia Mabrouk, musulmane, et Jean de Saint-Chéron, un auteur chrétien, livrent des réflexions personnelles sur le sacré dans le monde virtuel d’aujourd’hui.
Sonia Mabrouk introduit le sens de son univers « le sacré c’est ce qui ouvre à plus grand que soi, une quête de bonheur et d’amour, comme le pensait Blaise Pascal le philosophe.
C’est une quête et un combat essentiellement spirituel, une sorte d’arrachement à soi même. Thomas d’Aquin le disait, la spiritualité s’évalue en fonction de la charité ».
Pour sa part, Jean de Saint-Chéron estime : « on se tient instinctivement à une certaine distance du sacré, de ce qui est “séparé” dans sa définition même, c’est trop pur et trop parfait pour l’homme, ce qui est sacré c’est Dieu, le Seigneur. Le paradoxe du christianisme rend le sacré accessible par l’Incarnation. Le Tout-Puissant s’incarne dans une personne, ce dont la proximité me rend indigne, et en même temps ce qui vient jusqu’à moi pour m’élever jusqu’à lui ».
Si le monde moderne s’est débarrassé des gloires gratuites, l’honneur, le prestige et la charité, le sacré demeure souvent lié à la gratuité. Beaucoup cependant cherchant à s’en rapprocher, la superstition, la méditation en pleine conscience, l’ésotérisme ont beaucoup de succès. L’homme en a besoin...
Sonia Mabrouk ajoute : « le sacré, pour moi, n’est pas l’idolâtrie ni la superstition, la volonté de nier la transcendance parait évidente tout comme la volonté de chasser la mort de notre vie. En l’ayant vécu avec le covid, les rites funéraires en furent bannis, les maisons de retraite fermées, qu’y aurait-il de plus sacrés que nos aînés, je souhaiterais que le sacré ne fusse le monopole des religions, de leur administration », soulignera encore la journaliste !
Jean de Saint-Chéron propose un commentaire : « nous vivons aujourd’hui un réel malaise sur l’invisible confiné absolument dans la sphère privée, les pouvoirs publics ne se jugeant plus légitimes pour en parler, établissent leurs règles comme si cela n’existait pas.
L’imaginaire collectif en est le témoin, c’est difficile en France d’en parler souligne la journaliste, comme essentiellement d’un espace religieux même si le sacré ne puisse être dissocié d’un socle religieux ».
Par remplacement, on évoque le sens des valeurs, de laïcité et de neutralité selon le déroulé rhétorique français, même si lors de tags indignes au Mont Valérien le Chef de l’Etat, dit la journaliste interrogée, que tout cela avait pu souiller un espace sacré de la république !
En Turquie, à Istanbul, à propos de l’antique cathédrale Sainte-Sophie qu’il venait de faire reconvertir en mosquée (voyez notre article en rubrique "histoire"), le président Erdogan prononça le terme sacré pour ce lieu historique ante-musulman, pour ses fidèles et pour les non-musulmans du monde… (en ne se souciant aucunement des chrétiens qui avaient érigé cette cathédrale il y a 1500 ans, NDLR...)
Comme ce le fut en Angleterre lors du couronnement de Charles III, “le sacré du roi” en fut le témoignage vivant.
Jean de Saint-Chéron élargit pour sa part cette dimension sacrée de la vie, évoquant la dignité de tout être humain chez les plus pauvres, les malades, les prisonniers, les migrants, ils sont les êtres les plus sacrés d’entre tous, si vous voulons servir le sacré, ces personnes doivent rester notre priorité.
Evoquant l’usage des lieux sacrés comme salles de concert et de spectacle, Sonia Mabrouk commente : « ce qui me choque, dit-elle, c’est qu’il n’y a plus de césure entre le profane et le sacré, en faisant de ces lieux particuliers des fast-food, des discothèques ou des salles de sport ! »
Dans un espace uniforme le besoin de hiérarchie et de subsidiarité est nécessaire aujourd’hui par défaut.
Le rite religieux y contribue, le risque de détricoter le religieux, “ce qui relie” les hommes entre eux est nécessaire à toute vie, le sacré est une sorte de cathédrale intérieure, l’amour la beauté et le silence viennent de la main divine ; « y croire, dit encore Sonia Mabrouk, vous fait partager le chatoiement du monde alentour, dans la poésie et dans l’amour ».
Jean de Saint-Chéron conclut ce dialogue ouvert de l’Occident et de l’Orient par le rapport au passé de chacun, voulant par orgueil se débarrasser de tout ce qui fut fait avant lui, sinon en comprenant le chemin religieux qui nous a façonnés.
La journaliste à son tour, précisant la diversité des religions, ainsi à Jérusalem, de tant de lieux sacrés distincts que de chemins de sacralités en font foi, sans renoncement au sacré de la nature, si prégnant aujourd’hui et peu souvent rapporté par le commentaire sacré des religieux !
Femme de l’image ou témoin de l’écriture, chacun de ces deux témoins relate aujourd’hui le monde du sacré qui s’exprime diversement en chaque cas, par défaut parfois ou par vocation dans un environnement qui le sollicite ou le marginalise.
La rencontre de la parole et du verbe se croisent dans cet échange inattendu.
Le sacré demeure en des langages distincts et complémentaires à l’intelligence contemporaine au pluriel pourvue d’outils de communication qui par capillarité sont légitimes !