Sous la présidence de l'adjoint à la Culture Jean Michel Barate représentant le Maire d’Anglet (empêché), la chapelle Notre-Dame-du-Refuge (26, promenade de la Barre à Anglet) accueillera samedi 10 septembre à 16 h 30 une conférence animée par Michel Camdessus, dans le cadre du centenaire de la naissance du cardinal Roger Etchegaray.
Un propos en deux temps : le chapitre sur l’ami des hommes déjà traité lors d'une réunion à la mairie de Bayonne (diffusée par la chaîne KTO pendant l’été) et une partie inédite, l’ami de Dieu qui relatera des aspects méconnus de la vie, des activités du cardinal et de sa vie personnelle.
Entrée Libre à partir de 16 heures, le samedi 10 septembre prochain.
Amis des hommes... et de l'Eglise Orthodoxe russe
L'occasion de rappeler quelques souvenirs personnels de mes rencontres avec le prélat basque, en particulier il y a une quinzaine d’années, lors de mon séjour à Rome avec une délégation de l’Union Consulaire européenne dont j’étais le vice-président et le délégué pour le Grand Sud-Ouest.
Malgré son emploi du temps très chargé, le cardinal avait accepté de me recevoir avec mon épouse Anne dans son appartement de l’édifice San Callisto, cette enclave de l’Etat du Vatican sur les hauteurs du populaire quartier du Trastevere parcouru de petites ruelles bruyantes et encore peuplées, paraît-il, de « vrais » Romains…
Depuis la galerie couverte qui borde l’étage, la vue était magnifique sur la colline du Vatican couronnée de la coupole de Saint-Pierre conçue par Michel-Ange.
Dès l’entrée, une chistera et un makila évoquaient le pays natal du maître des lieux dont on avait déjà remarqué les « lauburu » - les croix basques - brodés sur les rubans de sa mitre lors de l’ordination de l’évêque de Bayonne.
Grande silhouette et visage aux yeux bleus qu’éclaire à l’occasion un large sourire juvénile, dans son costume « clergyman » noir, à peine courbée par le poids des ans et un accident l’année précédente, le cardinal accueillait ses visiteurs : « A 86 ans, je passe mon temps à recevoir, des religieux, de simples fidèles, également des chefs de gouvernement. Depuis que j’ai été appelé au Vatican par Jean-Paul II, j’ai beaucoup bourlingué et des hommes d’Etat de passage à Rome viennent me voir, mais ça peut être une femme de ménage, et j’apprends toujours beaucoup »…
Une photo avec Fidel Castro rappelait que Roger Etchegaray avait préparé le voyage du Saint-Père à Cuba : « J’ai passé des soirées, jusqu’à deux heures du matin, avec Castro. C’est un être complexe, il a été baptisé et n’a jamais expulsé le nonce, l’ambassadeur du Saint-Siège, dans le fond il est croyant, mais il vieillit mal et sa visite au Vatican fut son chant du cygne ». Premier évêque catholique entré dans la Chine de Mao il y a trente ans, « tous les pays m’intéressent, mais la Russie où je suis allé plus de vingt fois reste mon centre d’intérêt ».
«Tu es un bon ami, et nous avons beaucoup de raisons pour nous rapprocher»
Ami très proche du patriarche de Russie qu’il avait, en tant que responsable de la Conférence épiscopale d’Europe, rencontré dès 1969 à l’Escurial près de Madrid, le cardinal Etchegaray avait représenté le pape Benoît XVI aux obsèques d’Alexis II, puis au sacre de son successeur Cyrille qu’il connaît également très bien. Car le cardinal Etchegaray fut un véritable pionnier du dialogue entre catholiques et orthodoxes et un ami personnel du défunt patriarche de Moscou Alexis II : en fait, c’était à l’invitation de l’ancien métropolite de Pétersbourg, le métropolite Nicodème (Rotov) qu’il était venu pour la première fois dans l’ancienne capitale de l’Empire Russe à l’époque où elle n’avait pas encore retrouvé son nom authentique. Coïncidence étrange, le métropolite Nicodème mourut d'une attaque cardiaque le 5 septembre 1978 lors d'une entrevue au Vatican avec le pape Jean-Paul Ier, lui-même décédé trois semaines plus tard, également d'un infarctus ! Mais je préfère laisser parler le cardinal Etchegaray sur son amitié avec le patriarche de l’église orthodoxe russe Alexis II :
« J’ai rencontré pour la première fois le métropolite Alexis II à Madrid, à l’Escurial, à la fin d’avril 1969. Je venais d’être nommé responsable de la Conférence épiscopale d’Europe, et il faisait partie de la Conférence des Églises chrétiennes. Et il faut dire que dès cette première rencontre, une entente s’est tout de suite établie entre nous; il avait de grands projets œcuméniques, parce que ce qu’il désirait, comme moi, c’était un rapprochement entre les Églises et en particulier entre l’Église catholique et l’Orthodoxie russe. Et je peux dire que pendant quarante ans, si nous ne nous rencontrions pas chaque année ou presque, nous nous écrivions; notre correspondance démontre d’ailleurs que nos liens se sont renforcés, sans cesse, et que les initiatives communes que nous avons entreprises ensemble se sont concrétisées au point d’organiser ensemble en 1978, à Chantilly, en France, la première réunion européenne des évêques de l’Est et de l’Ouest.
J’ai trouvé en lui un frère, exigeant mais vraiment affectueux, si compréhensif que dans mes relations avec lui, je n’ai jamais eu aucune difficulté à parler de manière sincère et sans rien cacher de ce qu’il faudrait faire pour attirer la sympathie des gens. Nous avons eu de nombreuses possibilités de travailler ensemble de tout cœur, presque partout en Europe, même si c’était parfois difficile, en plein régime communiste.
Nous nous sommes vus encore plus souvent ces dernières années.
J’ai fait de nombreux voyages à Moscou, et j’ai vu que l’affection qui nous liait éveillait la stupeur des collaborateurs de celui qui était devenu le patriarche Alexis II, parce que ce n’était pas quelque chose de sentimental, mais que nous étions deux amis qui se retrouvaient dans la volonté commune que leurs deux Églises se rapprochent. Je m’excuse si je suis obligé de parler de moi, mais j’ai été le seul catholique invité à Moscou pour participer à la grande fête pour les quinze ans de Patriarcat d’Alexis II. Je me souviens parfaitement de ses mots: «Tu es un bon ami, et nous avons beaucoup de raisons pour nous rapprocher».
Et puis il y a une chose qui est très significative pour moi: il y a quelques mois seulement, dès qu’il a su qu’il m’était arrivé un accident, il m’a téléphoné dans la clinique où je gisais presque paralysé dans mon lit: la voix du patriarche Alexis me réconfortait en allemand et me témoignait toute son amicale fidélité. Nous nous étions vus peu de temps auparavant à Paris, et je m’étais donné beaucoup de mal pour faciliter ce voyage historique: le premier patriarche russe reçu officiellement à Paris, avec le président Sarkozy à ses côtés (entrevue à laquelle j’ai eu l’honneur d’assister personnellement)…
Deux Églises distinctes mais, nous le savons, deux Églises sœurs, vraiment sœurs. Cela veut dire beaucoup de choses que deux Églises se reconnaissent comme sœurs! L’intimité était telle, que nous avons pu beaucoup prier ensemble, dans la chapelle de sa résidence moscovite et dans la mienne à Marseille. La chapelle est le lieu de prière où nous nous sommes sentis le plus proches l’un de l’autre (...)
Il ne faut jamais oublier ce qu’a connu l’Église russe sous le régime communiste. Si l’on relit l’histoire de cette Église, surtout après 1917, on voit combien elle a souffert et combien elle s’est battue de manière admirable pour protéger sa propre foi grâce à ses martyrs. De cette manière, elle a vraiment maintenu la foi chez ses fidèles. Dans un contexte athée et sécularisé, il n’est pas facile de vivre sa foi, mais en Russie, peut-être plus qu’ailleurs, on peut compter sur de vrais fidèles.
Je prie beaucoup pour les fidèles russes. Pour leurs pasteurs, pour leurs métropolites. Il faut avoir à cœur toutes les Églises dans leurs différences. Le chemin de toutes ces Églises est un chemin de vérité, sans aucun doute, mais surtout de miséricorde ».
Le cardinal reçu à Saint-Pétersbourg
En juin 2011, à l’époque vice-doyen du Collège des cardinaux après avoir présidé les Conseils pontificaux Justice et Paix et « Cor Unum », le cardinal Etchegaray s’était encore rendu à Saint-Pétersbourg à l’invitation de l’Eglise orthodoxe russe : il avait tenu, dès son arrivée, à se recueillir sur la tombe du métropolite Nicodème qui l’avait reçu dans cette ville il y avait plus de trente ans.
Le cardinal était également un ami de longue date du métropolite de Saint-Pétersbourg de l’époque, Vladimir : les deux prélats s’étaient connus dans le cadre du Concile Vatican II, auquel le cardinal participait comme expert, et le métropolite comme observateur du Patriarcat de Moscou.
L’évêque Ambroise, recteur de l’académie de théologie orthodoxe, avait alors invité le cardinal à loger à l’académie durant son séjour à Saint-Pétersbourg et organisé dès son arrivée une réception en son honneur. A l’époque de la première visite du cardinal dans cette ville, le recteur de cette académie n’était autre que l’actuel patriarche Cyrille. En dehors des catholiques pétersbourgeois et des étudiants du séminaire catholique, le cardinal avait également rencontré des personnalités du monde culturel russe, en particulier le directeur du musée de l’Ermitage rassemblant de nombreux chefs-d’œuvre de l’art religieux occidental.
Le cardinal avait évoqué le rôle éminent et la vocation de Saint-Pétersbourg non seulement pour les relations entre l’Eglise et la culture, mais aussi pour le dialogue entre les diverses confessions. Sur le livre d’or de l’académie de théologie dont il était l’hôte, le cardinal, citant l’épître aux Galates, a invité orthodoxes et catholiques de Saint-Pétersbourg à « se laisser guider par l’Esprit » : « Puisque l’Esprit est votre vie, que l’Esprit aussi vous fasse agir » (Gal, 5, 22-26).
Chez le cardinal, à Espelette
Je n’oublierai jamais comment le cardinal nous avait reçu fraternellement chez lui, dans sa maison « Choko maitea » à Espelette, lorsque je lui avais amené le père Alexandre Siniakov, à l’époque responsable des relations publiques et œcuméniques et actuel directeur du séminaire de l'Eglise orthodoxe russe en France, qui avait assisté à l’ordination de Mgr Aillet. C’était en novembre 2008, et je me souviens d’avoir vu notre cardinal particulièrement réjoui, à l’extraordinaire vigueur retrouvée. Dans sa pourpre cardinalice dont la tonalité s’apparentait à l’éclat vif des solanacées de son village natal, coiffé d’une mitre arborant sur ses deux rubans arrière le lauburu basque, le vice-doyen du Sacré-Collège s’enthousiasmait : « C’est un évêque qui est vraiment pasteur. J’ai senti, dès son premier contact, qu’il a conquis les cœurs, le peuple de mon diocèse. Le diocèse est entre de bonnes mains ».
« Milesker Cardinale jauna ! », lui lancera Mgr Aillet !
Car malgré tous ses innombrables expéditions autour du monde, son Pays Basque natal et son village d’Espelette comptaient énormément pour le cardinal et j’ai eu l’occasion de publier les souvenirs et les anecdotes de mon ami l’ancien maire d’Espelette Andde Daraïdou d’un voyage de deux semaines en Chine, sur les traces du missionnaire ezpeletar Armand David, avec le cardinal auquel le liait une complicité certaine qui s’était instaurée entre eux à la suite de cette expédition !
En guise de conclusion, je souhaiterais rappeler la réponse du prélat basque au Grand Chancelier de l’Ordre de la Légion d’Honneur qui lui attribuait sa haute distinction : le cardinal avait admis, au cours de ses innombrables missions à travers le monde, « emporter collée à la semelle un peu de cette terre natale où se reconnaissent quelques grains basques » ? Son appartenance active à sa communauté d’origine, le cardinal la considérait comme « un relais nécessaire à l'authenticité de notre aspiration à la communauté européenne et universelle ».
Et le Pays Basque le lui avait bien rendu : je me souviens d’avoir assisté à Bilbao à l’attribution au cardinal du prix annuel de la Fondation Sabino Arana qui honorait en lui « toute une vie consacrée à l'action en faveur du dialogue et de la tolérance. Comme messager de la paix, homme de mission et constant serviteur de la justice dans le monde entier, le jury avait distingué chez le Cardinal Etchegaray le talent de favoriser des accords et l'habileté pour limer les différences qui divisent les peuples ». Alors âgé de 86 ans, le vice doyen du Sacré-Collège (il était le « numéro quatre » du Vatican, après le Pape, le Secrétaire d’Etat et le doyen des cardinaux) s’était rendu au Palais Euskalduna pour recevoir son prix, en présence des lauréats des éditions précédentes.
Dans sa préface à la réédition en 1981 des « Paroisses du Pays Basque pendant la période révolutionnaire » de l'Abbé Haristoy, à propos de la tragédie de la déportation d’une partie de la population basque par la révolution française, le cardinal Etchegaray avait estimé que « ces quelques grains d’histoire basque contribueraient à nous rendre contemporains de notre passé, témoins, voire solidaires d’événements et de personnes qui ont forgé l’âme basque ». Engageant les lecteurs « à suivre le même itinéraire – celui des contrebandiers de la foi au risque de leur vie et des habitants des villages labourdins déportés et internés par milliers », le cardinal ezpeletar formulait en conclusion le souhait que « de jeunes chercheurs viennent poursuivre et approfondir l'œuvre d'un curé obstiné qui avait le privilège d'écrire à une époque où les traditions orales et les souvenirs locaux commençaient à peine à s'estomper. Maintenant, il nous faut plus de courage mais autant de ferveur », notait-il.
La Révolution a marqué chez nous un tournant, davantage encore une cassure dans notre histoire basque. Je suis bien convaincu qu'une meilleure connaissance de cette période dramatique nous aidera, peut-être, à mieux comprendre nos racines humaines et spirituelles ».
"Une voix et une voie" que je me suis efforcé de suivre lors de mes conférences, émissions de radio et de télévision, et dans mes publications, en particulier mon livre "La déportation des Basques sous la Terreur" (Cairn éditeur).