Le 5 février 1962, il y a tout juste 59 ans, décédait le compositeur français Jacques Ibert.
"Si l'on voulait dessiner le portrait d'un français de vieille souche, courtois et racé, on demanderait à Jacques Ibert quelques séances de pose. On crayonnerait d'abord sa haute silhouette, svelte comme un jonc, on l'habillerait de gris clair : c'est une teinte qui lui sied à merveille et que, d’ailleurs, il affectionne. Puis l'on s’attaquerait, par euphémisme, au visage dont les traits réguliers auraient certainement tenté Ingres ou Flandrin. Ce visage respire l'ordre, la droiture, la discipline, la franchise et l’équilibre. Une courte moustache blanche atteste que celui qui la porte est de son temps, de son âge et de son pays, et qu'il n'en rougit pas. L’œil est clair. Il vous plante son regard dans le vôtre et il vous délègue, ce regard, tous les paysages qu'il a fixés, tous les horizons auxquels il s'est accordé, tous les rêves qui l'ont enrichi."
Ainsi s 'exprimaient, Bernard Gavoty et Daniel Lesur dans leur ouvrage Pour ou contre la musique moderne en parlant de J. Ibert.
Né en 1890 à Paris, Jacques Ibert a une mère pour qui la musique est vitale ; elle est une excellente pianiste amateure mais souffre de n'avoir pu devenir professionnelle, ses parents ayant refusé son choix. Aussi, incite-t-elle son fils unique Jacques à pratiquer la musique, en rêvant d'en faire un virtuose.
Ibert, aussi à l'aise pour le piano que pour le théâtre se montre très tôt doué pour l'improvisation musicale et dès l'âge de douze ans, il compose des valses et des mélodies en cachette de son père qui craint que la musique ne détourne son fils de ses études.
En 1910, il entre au conservatoire de Paris et a pour camarades de classe Arthur Honneger et Darius Milhaud. Durant ces années, Jacques Ibert joue dans les cabarets, compose des chansons populaires, des musiques de danse et improvise au piano lors des projections des films dans les cinémas de Montmartre.
Engagé volontaire pendant la Grande Guerre, il fut notamment officier de marine à Dunkerque, et au retour de la guerre, il se remet à la composition et remporte en 1919 le Premier Grand Prix de Rome avec sa cantate Le Poète et la fée.
Ibert ne cesse de composer et son œuvre est particulièrement abondante ; elle échappe à toute définition. Il déclarait lui-même :" Pour moi, pas de système. Tous les systèmes sont bons, pourvu qu'on y mette de la musique"
Cependant, cette maxime ne laissera pas la place au dodécaphonisme, à la musique sérielle ou encore la musique concrète car, l'imagination est pour l'artiste le premier de tous les dons. " C'est une force, à condition de la contrôler par le bon sens". Jacques Ibert est un des musiciens les plus accomplis de sa génération, représentant d'une certaine tradition de la musique française. Sa musique se définit par ce mot de lui : " Ce qui compte en art est plus ce qui émeut que ce qui surprend. L'émotion ne s'imite pas : elle a le temps pour elle. La surprise se limite : elle n'est qu'un effet passager de la mode." C 'est un compositeur qui ne cherche ni le succès ni le scandale et qui se sent totalement libre dans sa trajectoire compositionnelle en cette période du 20 ème où beaucoup compositeurs se cherchent ou cherchent à se positionner contre...
C 'est par exemple le cas du Groupe des Six, compositeurs de sa génération ( A.Honneger, D. Milhaud, F. Poulenc, G. Tailleferre, G. Auric, L. Durey) qui se regroupent pour affirmer leur réaction contre le wagnérisme et l'impressionnisme debussyste.
Jacques Ibert est un compositeur néo- classique qui a perpétré la tradition du style français, dans la lignée de Saint- Saens et Debussy. Il développe alors un style où la fantaisie est reine, qui laisse la place à la subtilité, à la tendresse, au raffinement, et même parfois à l'humour. Sa musique est à la fois sobre et élégante.
Voici comment Henri Dutilleux définissait le geste de Jacques Ibert :
"De tous nos compositeurs, Jacques Ibert est certainement le plus authentiquement français. Il est aussi le chef incontesté de notre école contemporaine... L’art de Jacques Ibert échappe à l’épreuve du temps car il est, avant toute chose, essentiellement classique de forme. Mais quelle imagination dans l’ordre, quelle fantaisie dans l’équilibre, quelle sensibilité dans la pudeur..."
Je vous propose de savourer comme une friandise la première des trois pièces brèves pour quintette à vents :
https://www.youtube.com/watch?v=PmFh5E6BC1g
Nommé directeur de l'Académie de France à Rome en 1937, il devra quitter l'Italie en 1940 après que Mussolini ait déclaré la guerre à la France. Il sera accusé de désertion par le nouveau régime du Maréchal Pétain, démis de ses fonctions, et même interdit de faire jouer ses œuvres. Il partira se réfugier à Antibes et composera de la musique dans une semi- clandestinité.
Il sera rétabli dans ses fonctions après la guerre et redirigera la Villa Médicis à Rome jusqu'en 1960.
Jacques Ibert se montre à l'aise dans tous les genres de musique ; il compose une douzaine d'opéras, opéras-bouffes, opéras-comiques, opérettes et musiques de ballet.
Citons par exemple l'opéra Persée et Andromède créé en 1929, l'opéra- comique Le Roi d 'Yvetot sur un livret de Jean Limouzin et André de La Tourasse, donné le 6 janvier 1930 à l'Opéra -Comique de Paris, ou encore l'opérette Les Petites Cardinal (1938).
Il écrit également des mélodies, mais ses compositions pour le piano et dans le domaine de la musique de chambre sont assurément centrales dans son œuvre. Il se tourne plus facilement vers les instruments à vent, écrivant un grand nombre de pièces pour eux et compose en outre une vingtaine d'opus pour la musique symphonique (concertos, divertissements, suite pour orchestre et diverses pièces).
Il s'illustrera également dans le domaine de la musique de film puisqu'il en composera une soixantaine pour les réalisateurs comme Julien Duvivier, Marcel L'herbier ou encore Pierre Chenal; Citons Golgotha (1935), La Maison du Maltais (1937) , Thérèse Martin (1938), La comédie du Bonheur (1939).
En 1955 il sera nommé directeur de l'Opéra de Paris et l'année suivante il sera élu à l'Académie des beaux- arts.
Je vous propose de terminer ce portrait par une des œuvres de Jacques Ibert, les plus jouées ; il s 'agit du concerto pour flûte et orchestre composé en 1933, dédié à Marcel Moyse grand flûtiste français de la première moitié du 20eme et créé en février 1934 à la société des concerts du conservatoire.
Nous entendrons ici le premier mouvement divinement interprété par le prince de la flûte Emmanuel Pahud