Honoré de Balzac (1799/1850)
En 1799, à la toute fin du « Siècle des Lumières », naissait à Tours dans une famille bourgeoise, Honoré Balzac, futur romancier, dramaturge, journaliste, entrepreneur et critique littéraire. Rédigeant de nombreux textes dès la fin de son adolescence, sous divers pseudonymes, il ajoutera une particule à son nom après la disparition de son père : pratique puérile alors fort courue (dans Illusions perdues, Lucien de Rubempré optera pour le même stratagème). Honoré de Balzac, homme protée, bouillant d’imaginations de toutes sortes, littéraires, entrepreneuriales (éditions, imprimeries, etc.) toujours désastreuses, est doté d’un appétit de vie hors du commun. Lors de sa courte existence survoltée de graphomane, de banqueroutier récidiviste, il a néanmoins parachevé une œuvre monumentale (romanesque, journalistique) d’une ampleur et d’une complexité sans précédent : dans la célèbre « Bibliothèque de la Pléiade (édition Gallimard) » ses ouvrages occupent 17 tomes : 12 pour La Comédie Humaine (90 titres), 3 pour sa Correspondance et 2 pour ses Textes Journalistiques … Un 18 ème est à paraitre ! Jeune homme, Honoré de Balzac, lecteur compulsif, s’est nourri de la littérature de son temps, en particulier de trois immenses écrivains européens : l’allemand Johan Wolfgang von Goethe (1749/1832), l’écossais Walter Scott (1771/1832) et l’anglais Lord Byron (1788/1832).
Malgré sa courte taille, sa tendance à l’embonpoint, son visage empourpré, ses dents ébréchées, Honoré de Balzac fut un bourreau des cœurs aux amours multiples et simultanés. Ses magnifiques portraits de femmes, finement ciselés, viennent de la connaissance de celles-ci, parfois mises au ban de la société patriarcale, hormis quelques-unes grandes prêtresses de salons mondains. L’écrivain s’est nourri du suc de ses rencontres. Ses idées politiques ont varié en fonction des circonstances politiques, de sa vie personnelle, professionnelle, toutes en constant bouleversement : d’abord libéral sous la Restauration de Louis XVIII (1814/1824), de Charles X (1824/1930), il vire légitimiste sous Louis Philippe 1er (1830/1848). Cependant, il demeure toujours curieux, attentif à la connaissance de la société française dans sa diversité lors de son essor capitalistique et des ruptures sociales que ce phénomène économique nouveau suscita : la prise du pouvoir de la société bourgeoise aux dépends de l’aristocratique. Un monde nouveau éclot sous ses yeux …
Le philosophe Karl Marx (1818/1883) incita son ami Friedrich Engels (1820/1895) à lire les livres d’Honoré de Balzac tant ceux-ci décrivaient, à travers des personnages romanesques (Le Père Goriot, Eugénie Grandet, César Birotteau), les mécanismes profonds de la société française. Le critique marxiste hongrois Georg Lukacs (1885/1971) a vu dans Illusions perdues : « l’épopée tragi-comique de la capitalisation de l’esprit, la transformation en marchandise de la littérature ».
Honoré de Balzac est mort en août 1850, à 51 ans, épuisé, ruiné, traqué par ses créanciers. Acquéreur compulsif, Il aura vécu dans un luxe inouï jusqu'au bout !
Illusions perdues, film de Xavier Giannoli
Angoulême (Charente) sous la Restauration. Lucien Chardon (Benjamin Voisin) est un jeune homme féru de poésie. Pour l’heure, il travaille dans l’imprimerie de son beau-frère. Idéaliste, il est épris d’une femme de la noblesse locale : Madame Marie-Louise Anaïs de Bargeton (Cécile de France). Invité dans son salon, sous le nom de Lucien de Rubempré, il déclame sans succès les sonnets qu’il a écrit à la gloire de son hôtesse. Pour lui qui la sublime, elle est la Béatrice de Dante Aligheri (1265/1321), la Laure de Francesco Petrarque (1304/1374). Un aristocrate dans l’assistance, secrètement amoureux de la Baronne, le Baron du Châtelet (André Marcon), comprend son désarroi. Désintéressé, en apparence, il aide le couple amoureux à fuir la province pour Paris où il installe Lucien dans un logis de fortune, tandis que la Baronne de Bargeton loge chez sa cousine, la Marquise d’Espard (Jeanne Balibar) redoutable intrigante de la haute aristocratie parisienne ; impitoyable, sarcastique, elle fait et défait les réputations sur la place de Paris. Lucien tente de se lancer dans le grand monde, mais son patronyme usurpé (c’est celui de sa mère), et son allure de provincial maladroit lui seront fatals.
Délaissé par la Baronne, Lucien sans le sou, replié dans le quartier Saint-Germain, tâcheron dans une gargote, rencontre un journaliste haut en couleur : Etienne Lousteau (Vincent Lacoste). Ce dernier le prend en sympathie et l’introduit dans le cercle des journalistes à scandale de son journal : « Le Corsaire », un quotidien libéral. Etienne Lousteau découvre les talents littéraires de son protégé qui rapidement devient une plume redoutable au sein de la rédaction.
Lucien de Rubempré dans cet environnement toxique ou tout est dérision et concussion, perd ses illusions et devient cynique …
Illusions perdues est le 8 ème long métrage de Xavier Giannoli (49 ans). Avec son scénariste expérimenté Jacques Fieschi (73 ans), doté d’une quarantaine de scénarios à son actif et non des moindres (Police – 1985- de Maurice Pialat, Un cœur en hiver – 1992, Nelly et Monsieur Arnaud – 1995 tous deux de Claude Sautet, Mal de pierres – 2016- de Nicole Garcia, etc.) ils ont adapté une partie (principalement la centrale) des Illusions Perdues d’Honoré de Balzac publié en 3 tomes entre 1837 et 1843 : Les Deux Poètes, Un grand homme de province à Paris, Les Souffrances de l’inventeur. La multitude des personnages, la richesse foisonnante des intrigues ont été élaguées, compactées, afin de rester intelligibles aux spectateurs. C’était une gageure inouïe dès l’instant ou les coscénaristes choisissent de préserver la vivacité du récit, échappant ainsi à une pesante illustration d’un texte par ailleurs foisonnant. Les personnages secondaires du roman central (Un grand homme de province à Paris), pour une grande part des publicistes et les intrigues secondaires, ont été fondus au profit d’une voix off qui donne le tempo du film évitant ainsi des scènes explicatives qui ralentiraient le récit. Malgré la longueur des Illusions perdues (2h 29’) le déroulé de l’histoire de Lucien de Rubempré à Paris ne souffre d’aucune baisse de rythme qui pénalise tant de « films à costumes ».
Illusions perdues bénéficie d’un budget conséquent (19 millions €). Produit par la vénérable maison Gaumont c’est un film français ambitieux par son sujet et sa réalisation. Xavier Giannoli est un réalisateur remarquable toujours à la recherche de sujet novateur qu’il élabore (scénario, découpage) et tourne avec soin : Marguerite (2015) sur la vie d’une mondaine (inspiré de la vie de la cantatrice américaine Florence Foster Jenkins qui chantait … faux !) ; L’Apparition (2018) sur une jeune femme a qui apparait (ou non) la Vierge Marie. Pour Illusions perdues, le directeur de la photo, le belge Christophe Beaucarne (56 ans) éclaire les scènes intérieures, souvent sombres, par des bougies (et quelques lampes dissimulées) tout en aménageant des espaces où les comédiens peuvent se mouvoir avec naturel. Cependant, il se garde de plagier John Alcott (1930/1986) mythique chef opérateur de Barry Lyndon (1975) de Stanley Kubrick (1928/1999) où ce type d’éclairage abonde. Les costumes confectionnés de Pierre-Jean Larroque sont également remarquables tant ils semblent justes, vrais, dans cette période historique ambigüe de notre pays : la Restauration.
Tous les acteurs adhèrent avec enthousiasme au projet de ce film ambitieux, hors de la production classique hexagonale par son sujet et le soin apporté à sa fabrication (scénario, découpage, images, sons, montage). Même Gérard Depardieu (Dauriat, l’éditeur analphabète !), présent à l’écran dans quelques courtes scènes, semble croire à son personnage !
Illusions perdues a été présenté en sélection officielle à la Mostra de Venise 2021.