En 1770 en Italie du Nord, à Bologne « La Dotta » (La Savante), le compositeur d’origine tchèque, Josef Myslivecek (Vojtech Dyk) au nom imprononçable en italien, d’où son surnom de « Il Boemo », est au faite de sa gloire : depuis son arrivée en Italie en 1760, il compose sans relâche des airs d’opéras à la mode italienne qui finissent, à force d’intrigues, par éblouir une aristocratie blasée.
Dans cette ville, il rencontre le jeune Wolfgang Mozart (13 ans) accompagné de son père Léopold (1719/1787) à la jambe meurtrie par un accident de calèche. Il Boemo joue, sur un clavecin, le prologue de son dernier opéra Demofoonte (1769, création à Venise Teatro San Benedetto) devant le jeune salzbourgeois, fasciné.
A la fin de la page musicale, Wolfgang Mozart (Philip Hahn) reprend aussitôt de mémoire ce moment musical et y ajoute des variations : Il Boemo et les témoins de cette scène restent muets d’admiration devant le « génie » de cet adolescent.
Léopold, son sévère père, musicien de cour et « imprésario », le fait voyager dès son enfance (1762/1778), en compagnie de sa sœur « Nannerl » (1751/1829), dans toutes les cours d’Europe.
Le jeune Mozart est en Italie pour se perfectionner dans l’écriture musicale (le contrepoint) auprès du grand maître, Padre Martini (1706/1784). Le « Divin » Mozart (1756/1791), Amadeus (Aimé des dieux) poursuivra sa fulgurante carrière de compositeur jusqu'à son décès à Vienne à l’âge de 36 ans. Quant à Il Boemo, il sombrera dans l’oubli …
Josef Myslivecek, né à Prague en 1737 avec un frère jumeau, est le fils d’un riche minotier pragois ; il est promis à la succession de son père. Mais en 1764, à 27 ans, il quitte sa famille, son moulin natal et fuit en Italie, les lieux de sa naissance étant ravagés par la guerre de Sept Ans (1756/1763) qui sévit en Europe.
En 1765, résidant à Venise, vivant chichement, survivant en donnant des cours particuliers, il prend des leçons de récitatifs d’opéra chez Giovanni Basttista Pescetti (1704/1766) qui l’initie à la maitrise de la langue italienne. Grâce à la grande diva, Caterina Gabielli (Barbara Ronchi), surnommée La Coghetta, soprano colorature à la personnalité explosive, il connait enfin, un immense succès au Théâtre San Carlo de Naples avec Bellerofonte (1767).
A Naples, règne Ferdinand IV (1751/1825) dès l’âge de 8 ans, un souverain fruste « d’une culture limitée au strict minimum », truculent et coprophage, qui admire le talent d’Il Boemo. Sa carrière est lancée ; ses nombreuses aventures amoureuses aussi.
Désormais pendant 12 ans, sans domicile fixe, il sillonnera l’Italie, de « teatro en teatro » (Naples, Venise, Bologne, Parme, etc.) ainsi que l’Europe (Munich, Vienne Prague, etc.). Il contracte un « cancer des os » en fait une maladie vénérienne, la syphilis (le mal napolitain), qui le défigurera.
Il revient à Rome où il meurt en 1781 à l’âge de 43 ans. Son testament musical est considérable : trente opéras, cinquante symphonies, huit oratorios, des concertos, et de nombreuses pièces de musique de chambre. Pourtant, rapidement, il tombe dans l’oubli …
Le réalisateur/scénariste Pert Vaclav (55 ans) né à Prague mais vivant en France depuis 20 ans, possédant la double nationalités tchèque et française, n’a qu’une courte filmographie (5 opus) de documentariste.
En 2016, après des recherches dans toute l’Europe, il présente au Festival International des Programmes Audiovisuel (FIPA) de Biarritz, dans la section Musiques et Spectacles, Confessions d’un disparu sur la vie du compositeur Josef Myslivecek : il est récompensé du FIPA d’or ! Son long métrage cumulera de nombreux prix internationaux. La vie brève, mais ardente, de son compatriote tchèque l’obsédait : pourquoi Il Boemo a disparu dans les tréfond de l’histoire ? Est-ce parce qu’il était natif d’une région perdue, la bohème, dans la Mitteleuropa, proie des grandes puissances de son temps ? Est-ce la faute des musicologues d’origine germanique que la fin de la période musicale baroque laissait indifférent ? Sans réponse à ses interrogations, après son documentaire sur Joseph Myslivecek, Pert Vaclav décida d’en faire un biopic sous forme de fiction documentée.
Le film historique a une double mission, difficile : raconter à la fois une histoire vraie et une histoire en partie imaginaire, mais vraisemblable. Le réalisateur affirme : « je veux trahir le moins possible » ; « la lecture a bien sûr été la source principale de mes recherches ». Ainsi, il a consulté de nombreux ouvrages imprimés tout au long du XVIIIème siècle.
Citons les principaux : Histoire de ma vie du vénitien Giacomo Casanova (1725/1798), Voyage musical dans l’Europe du musicologue anglais Charles Nurney (1726/1814), Mémoires secrètes de l’italo-français Guiseppe Gorani (1740/1819), sans oublier sa « Bible » la Correspondance monumentale de Wolfgang Amadeus Mozart. Lui seul a donné les descriptions d’Il Boemo a son acmé (1770), puis gravement malade (1780).
Le réalisateur a rédigé le script avec l’aide, partielle, d’un scénariste français (Gilles Taurand) et, pour la partie musicale avec le concours de son ami Vaclav Luks, fondateur et directeur artistique de l’orchestre baroque de Prague Collegium 1704. Cet ensemble tchèque renommé (musiciens, choristes) est dédié à l’interprétation de la musique du XVII ème et XVIII ème siècle.
Ainsi, Il Boemo, film réellement musical, comme il y en a fort peu, est porté par la musique instrumentale et d’opéra de l’artiste pragois, interprétée par l’orchestre de Prague Collegium 1704. Nous sommes subjugués par un continuum d’images sublimes, de sons d’orchestre, de voix magnifiques d’authentiques chanteurs.
Seule la voix de la soprano colorature Caterina Gabrielli (Barbara Ronchi) est doublée pour le chant par Simona Saturova (soprano slovaque). Les autres interprètes de divers opéras chantent en son direct : Raffaela Milanisi soprano italienne, Emore Barath soprano hongroise, Sophie Harmsen mezzo-soprano allemande ; chez les hommes, Juan Sancho ténor espagnol, Krystian Adam ténor polonais et le contre-ténor français Philippe Jaroussky !
Notons que le personnage central, pivot du récit, Vojtech Dyk (Il Boemo) est non seulement acteur mais aussi musicien !
Pour ses films de référence, Pert Vaclav en cite deux, évidents : Barry Lyndon (1975) de l’américain Stanley Kubrick (1928/1999) pour le travail sur la lumière en intérieur (jour fenêtres, nuit bougies) ; Amadeus (1984) de son compatriote tchèque (naturalisé américain) Milos Forman (1932/2018) pour les décors naturels (palais vénitiens, théâtre, etc.). Mais il s’en est éloigné pour plusieurs raisons : budgétaire (les deux films ont un budget important) ; Barry Lyndon est l’adaptation d’un roman anglais de William Thackeray (1811/1863) ; Amadeus, est l’adaptation de la pièce de théâtre de Peter Shaffner (1926/2016), une incongruité historique (la haine de Salieri compositeur laborieux contre le « divin » Mozart). Les deux chefs d’œuvres, indiscutables, demeurent, en dernière instance, des représentations cinématographiques « légères » du XVIII ème siècle.
Pert Vaclav, documentariste, a opté pour une voie différente : ainsi Il Boemo est filmé en totalité avec une caméra mobile, sans plans fixes, ni travellings (installation trop coûteuse). Compte tenu de son modeste budget, pour un « film à costume », la fabrication a été rapide d’où une mise en place légère, une tension permanente lors du tournage (peu de prises).
Pert Vaclav réussit à combler nos yeux, et plus encore nos oreilles, peu habituées à cette qualité de voix chantées par d’authentiques chanteurs, ainsi que des musiques baroques à l’interprétation « historiquement informée » (diapason, tempo, instruments d’époque, etc.).
Il Boemo est un biopic, hors des séries, sur la tragédie d’un homme injustement oublié, à la charnière de la fin de la période musicale baroque (environ 150 ans), et le début de la période classique, celle du compositeur autrichien « Papa Haydn » (Franz Josef Haydn 1732/1809). Il Boemo, est une œuvre ambitieuse et précieuse.