Dans les textes du jour quelques expressions surgissent : « quitte » « Abram quitte ton pays » « participe »« Timothée, participe aux souffrances du Christ » écoute « écoutez-le, écoutez mon fils « annonce »« Le Christ Jésus a fait resplendir la vie par l'annonce de l'évangile ; ces expressions mises côte à côte balisent tout itinéraire spirituel chrétien: elles donnent à notre existence un sens pascal de chemin du Christ, fait d'écueils et de découvertes, d'obstacles et de passages. Dans ces textes défilent Abraham, Moïse et Elie, Paul et Timothée, Matthieu l'évangéliste et dans leur sillage Léon le martyr, patron de cette ville qu'il évangélisa vers la fin du IXème siècle, il y a 1.400 ans, lui dont le sang versé féconde notre foi, on l'oublie trop souvent.
Evoquons dans un premier temps son souvenir, puis dans un 2ème, l'histoire spirituelle de cette ville qui lui doit tant pour mieux éclairer ensuite notre façon de vivre, c'est lui, Léon qui arracha Bayonne, l'ancienne Lapurdum à son idolâtrie et à son ignorance.
Malgré l'absence d'archives et de documents le concernant, sa haute silhouette émerge des cendres de l'Histoire, celle d'une homme jeune et d'envergure. prêtre de Rouen, missionnaire du Christ et, selon une vieille chronique, brûlant de zèle et d'amour de Dieu . On rapporte qu'à peine ordonné, il ne craint pas de rendre visite aux camps disséminés des envahisseurs scandinaves, les vikings, appelés normands, north men ; il se familiarise avec eux et leur langue, rencontre des chrétiens baptisés sur les bords de la Baltique. Apprenant leurs projets d'expédition sur la côte Atlantique, il décide de s'y rendre et écrit au pape Etienne V pour lui demander sa bénédiction ; celui-ci le fait venir à Rome ; ils ont un bon moment d'échange; il en repart évêque, chargé de mission pour les régions du Sud ; de retour à Rouen, il nomme un vicaire général et part dans notre région avec deux de ses frères ; après un interminable voyage , le trio fraternel arrive aux portes de Lapurdum, Bayonne ; c'est le soir , les portes sont fermées ; ils doivent attendre le matin et se trouver un abri ; le lendemain, ils se présentent aux notables normands en place depuis déjà plusieurs années , leur donnent bonne impression puisqu'ils se font comprendre ; conduits devant le temple du Dieu guerrier Odin, il leur est demandé de sacrifier en l'honneur de cette divinité ; Léon prie d'abord puis aurait dit aux prêtres païens, « votre dieu n'est pas le vrai ; le vrai, c'est le Seigneur créateur du ciel » la légende s'inspirant des Actes des Apôtres, -et la légende reflète souvent un état de l'Histoire-, raconte que Léon aurait soufflé sur la statue qui se serait brisée laissant les gens stupéfaits et même conquis ; ce qui est sûr, c'est qu'assez vite. Léon est admis par la population , tant son allure, ses convictions, son charisme, son don ; de communication facilitent les échanges et en imposent ; plusieurs de ses auditeurs adhèrent à son message, se font baptiser et construisent , selon une tradition vraisemblable, une église en l'honneur de la Vierge Marie, à l'emplacement même du temple d'Odin, c'est à dire ici même.
Léon continue d 'affermir la Foi de ces simples qui trouvaient sans doute sa doctrine bien plus satisfaisante que la religion vulgaire et guerrière d'Odin dont le seul but était de s'étriper, de tuer ses ennemis, puis, d'aller en Paradis manger du sanglier et boire de la bière dans le crâne des vaincus ; Léon , lui, décide de partir vers le Sud , vers le pays des Basques ; il fait comme les Normands, les envahisseurs du Nord, suit leurs traces , les trouve aux bords des fleuves et rivières où ils se sont déjà installés, faisant souche dans les populations locales. Léon le missionnaire ne se décourage pas et annonce la bonne nouvelle, généralement bien reçue ; on pense que sa mission aurait duré de l'automne 889 au printemps 891, presque 2 ans.
A son retour à Lapurdum, son calvaire commence : il constate les défaillances de plusieurs néophytes, subit la jalousie des prêtres païens, la fureur des vikings revenus de leurs expéditions sans retrouver le culte d'Odin ; quand Léon arrive près d'eux, leur chef le décapite comme un ennemi ; consternation des chrétiens qui l'enterrent sur place à l'endroit même du meurtre.
Ainsi mourut martyr Léon, le noble et vaillant fondateur de la mission de Bayonne ; puisse notre ville lui vouer toujours son admiration et sa gratitude, sans laisser dévier sa fête et son nom en manifestations rigolardes et triviales indignes de lui, indigne d'elle !
Car Bayonne eût bien besoin de son aide et a toujours besoin de sa protection ; quand on relit l'histoire de la ville, on constate qu' à chaque siècle, Bayonne dut encaisser des coups durs pas seulement économiques ou politiques, mais spirituels dans son âme et dans sa Foi.
Contentons nous d'en mentionner quelques uns : fin XIVème siècle , le grand schisme d'Occident traumatise l'Europe ; résultat : 2 papes, l'un à Rome, l'autre en Avignon , et chez nous, 2 évêques , l'un à Bayonne et l'autre à St Jean-Pied-de Port ; cela pendant plus d'un demi-siècle,
au XVème siècle, siège de Bayonne par Dunois compagnon de Jeanne d'Arc et Gaston Phoebus ; ils prennent le dessus le 15 Août 1457 sur les Anglais obligés d'abandonner leurs possessions de Guyenne et Gascogne après plus de 300 ans de suzeraineté ; l' habile politique anglaise d'exemption d'impôts avait rendu leur présence tout à fait tolérable aux notables et commerçants de Bayonne)
Sautons au XVIème siècle, les guerres de religion sonnent le tocsin dans les états de Béarn et de Basse-Navarre : la reine Jeanne d'Albret abolit par décret le catholicisme et veut imposer sa foi calviniste à ses sujets, ce que les basques contraints, pas plus que les gens d'Oloron n'admettent pas; la reine n'insiste pas sans perdre la face ;
XVIIème siècle : un théologien bayonnais Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran invite dans sa propriété de Camp de Prats à St- Pierre d'Irube pendant 5 ans un camarade d'université Jansen , savant prêtre hollandais; après une lecture tendancieuse des Pères de l'Eglise, particulièrement de Saint Augustin, , ils élaborent une doctrine intransigeante sur la grâce et le salut appelée jansénisme qui influençe et divise durablement le clergé et le peuple.
fin XVIIIème siècle, la Révolution Française avec de bonnes intentions, passe de l'abolition des privilèges à une politique répressive, instaure un régime de terreur, dresse près du Palais de Justice un échafaud sur la Place de la Liberté et impose , au clergé de France d'adhérer à la Contitution civile du clergé d'inspiration gallicane; nombreux les prêtres et religieux qui refusent de signer ; considérés comme réfractaires, ils sont passibles de mort et condamnés à la guillotine ; beacoup sont cachés, souvent par les petites gens ; les reliques de Saint Etienne sont brûlées sur la place et ses cendres jetées dans l'Adour ; temps de terreur, d'héroïsme. et de foi. ; les seules reliques qui nous restent viennent du monastère St Bernard où les religieuses les avaient prudemment confiées à un couple chrétien qui les leur a restituées après la tourmente.
Au XIXème siècle la séparation de l'Eglise et de l'Etat et autres mesures entraînèrent le départ de Bayonne des congrégations qui pourtant avaient fortement marqué notre ville durant des siècles ; nouveau bouleversement. En 1903- 1905, elles dûrent émigrer en Espagne , à Zarauz. Nombreux les enseignants et familles chrétiennes de Bayonne et de la région qui subirent les tracasseries du pouvoir ; j'ai moi-même entendu , lycéen à Ustaritz, le récit de l'expulsion du corps professoral du collège de Larressore, par le chanoine Vergès professeur de Math et de Science Naturelle ; il parlait de ces évènements datés alors de plus de 40 ans, avec la même émotion et le même frémissement que s'ils avaient eu lieu la veille.)
Au XXème siècle, Bayonne paie largement son tribut au pays de France ; on a trop vite oublié que l'évêque d'alors Mgr Vansteenberghe , ancien professeur d'Université à Strasbourg prononce en 1942, dans cette cathédrale remplie de jeunes une courageuse catéchèse sur L'Exode, la fuite d'Egypte ; à mots couverts il déconseille à cette jeunesse de partir pour le STO, service de travail obligatoire en Allemagne nazie ; parlant couramment l'allemand , il avait été un des premiers à lire Mein Kampf où un certain Hitler exposait ses idées délirantes ; il paya cher son intervention puisqu'il fut assigné à résidence, empêché de circuler,e d'écrire t de parler en public. Il mourût d'une crise cardiaque, après quatre ans d'épiscopat. Bayonne le pleura et lui fit de grandioses obsèques.
Plus tard, après la libération, l'affaire Finaly vit le jour à Bayonne et prit vite une ampleur nationale : il s'agissait de 2 enfants juifs orphelins, baptisés et adoptés par une femme célibataire de la région lyonnaise qui refusa de les rendes à leur famille juive d'Israël quand elle voulut les prendre chez elle.; elle les cacha au pays basque ; jusqu'au moment où le Cardinal Gerlier ordonna de les rendre à la famille ; entre temps plusieurs prêtres basques avaient été gardés à vue plusieurs jours à la maison d'arrêt de Bayonne et interrogés, pour avoir caché ces enfants ; dure expérience pour eux soutenus par tout un clergé consentant. )
Ainsi chaque siècle exigea des bayonnais une vigilance et un discernement à la mesure de leurs épreuves ; comme toujours en pareil cas, il est bon de revenir à l'évangile ; (quand il raconte le récit de la Transfiguration, Saint Luc est le seul à nous préciser le sujet de conversation entre Moïse, Elie et Jésus : ils parlaient de l'Exode, ce long temps d'errance, d'épreuve et de tentation, où les Hébreux fuyant l'esclavage égyptien découvrirent le mystère de la présence Dieu ; pour Jésus, l'Exode consiste en sa marche vers Jérusalem, et sa mort sur la croix débouchant sur l'esplanade de la Résurrection. ; L'Exode reste le sujet fondamental des chrétiens, leur route vers Dieu/ Dieu pascal en marche avec nous pour nous ; cette marche confiante fut celle de tous les saints,et bien sûr, celle St Léon . )
En terminant, rappelons nous les derniers mots du Christ sur le mont de la Transfiguration : « les disciples furent saisis d'une grande frayeur ; Jésus s'approcha, les toucha et leur dit : relevez-vous et n'ayez pas peur »
En ce temps synodal, en ce temps de Carême, en cette eucharistie, puissions nous profiter de ctte grâce de transfiguration où le Christ propose à chacun de nous et à notre église sa présence réconfortante et son ordre de mission, sa feuille de route ; « pars, écoute moi , participe à mes souffrances et fais resplendir la vie des hommes par l'annonce de ma Résurrection. Ainsi le fit avant vous, mon envoyé Léon de Rouen , Saint Léon de Bayonne, votre cher fondateur. Faites de même, soyez mes témoins. Amen !