Suite à l’exposition temporaire consacrée à Marie Garay jusqu'en avril dernier, la conservatrice du musée Basque et d’Histoire de Bayonne Sabine Cazenave revient sur la biographie de cette artiste émancipée à la talentueuse destinée à Bayonne dans le bulletin du Pays Basque numéro 199 du premier semestre 2023.
Au Pays Basque, Marie Garay fut la première artiste au féminin a s’être émancipée. Elève d’Achille Zo et de Léon Bonnat qui découvrirent ses talents et l’aidèrent à se promouvoir, Marie Garay (1861-1953) fut la seule femme à faire partie de l’Ecole bayonnaise dont les élèves Bergès, Caro-Delvaille, Henri Zo, Etcheverry, Saubès, Henri Zo, Pascau comptaient parmi ses proches.
Son père instituteur avait épousé Catherine Léonie originaire de la région. Aînée de la fratrie de neuf enfants, Marie Garay née à Saint-Pierre d’Irube où elle suivit ses premiers cours de dessin, s’avéra très douée. Après avoir étudié chez les sœurs de la Croix, l’adolescente poursuivit sa formation auprès du peintre Achille Zo (père d’Henri Zo) à l’Ecole Municipale de Dessin de Bayonne, à l’époque Ecole Julien, où elle obtint une médaille d’argent, puis une médaille vermeil décernée par Léon Bonnat dans la catégorie « Paysage » en 1875 pour "un dessin de jeunesse bien qu'un peu "maladroit", « La mort de Roland » décrit ainsi par Sabine Cazenave.
A cette époque, bien que vivant dans l’exiguïté d’un logement de fonction, la vie des Garay suivait son cours. Cependant, deux drames contribuèrent à déstabiliser la famille. Jean-Baptiste, l’oncle de Marie Garay, décéda subitement après son épouse, laissant cinq enfants orphelins. Deux d’entre eux furent adoptés par la famille Garay, déjà fort nombreuse.
Alors âgée de 20 ans, Marie Garay perdit en 1881 son père bien aimé, laissant toute la famille dans une grande tristesse et un grand dénuement. Afin de subvenir à son existence, Marie Garay ouvrit un cours de dessin à Bayonne. Puis, avec l'aide d'une bourse de la Ville de Bayonne octroyée pour une durée de trois ans, ce qui était très rare pour une fille, elle partit poursuivre sa formation et étudia de 1882 à 1885 à Paris.
Avec l'aide d’Achille Zo, l’artiste aurait dû être acceptée à l’atelier de Léon Bonnat à l'école des Beaux Arts de Paris. Cependant, l’institution n'étant pas encore ouverte à l'époque aux femmes (elle le sera qu'à partir de 1897), Marie Garay ne peut pas intégrer l'atelier officiel ni concourir au Prix de Rome. Avec le soutien de Léon Bonnat, elle fut acceptée à l'atelier des peintres Carolus-Duran, admirateur de Vélasquez et d'Henner, spécialiste des portraits à Paris où l'étudiante pu développer son art tout en gardant des contacts avec ses premiers maîtres, de l'Ecole de Bayonne. A cette époque, elle obtint un prix pour la toile « Fleurs et Fruits » au Salon des Artistes aux Champs Elysées (1883), un salon parisien où elle continuera à exposer chaque année tout au long de sa carrière.
De retour à Bayonne en 1885, Marie Garay est devenue une artiste accomplie : parmi ses remarquables portraits on peut noter celui de sa mère Catherine (1861-1953) et celui à l'huile de son frère Paul (1864-1939) légué au musée Bonnat en 2020, curé de l’église Saint-Charles à Biarritz. Avec l'aide de son frère et du chanoine Daranatz, elle réalise au pastel dans le style de Bonnat, la série portraits des évêques de Bayonne de 1885 à 1896, mettant l'accent sur les parties claires : l'expression du visage et des mains en contraste avec des fonds terre de sienne presque noir .
En souvenir de ses nombreux séjours en Espagne, Marie Garay parallèlement à son travail sur les évêques, représenta également le portrait en pied du futur roi Alphonse XIII à l'âge de quatre ans. Cette oeuvre fut exposée à l’Exposition des Amis des Arts de Bayonne en 1890.
En dehors des portraits, la jeune femme affectionnait la peinture de genre. Au Salon des Champs Elysées à Paris, elle exposa en 1889 son œuvre la plus appréciée : « La procession de la Fête-Dieu à Bidarray », une remarquable fresque murale à l’huile aux importantes dimensions 1,43 m x 2,82 m. Dix-huit études en couleur furent esquissées afin d'élaborer la composition du tableau final détaillant avec une précision réaliste la diversité des costumes de la longue procession depuis le clocher de l'église de Bidarray, dans l'écrin poétique des montagnes voilées de nuages. Retenue à l’Exposition Universelle de 1900 pour l’originalité picturale de son thème spirituel sur le Pays Basque intérieur, inconnu à l’époque et sa richesse documentaire et historique, l'oeuvre fut acquise par les Musées de Pau et prêtée au Musée Basque.
Cinq ans plus tard, Marie Garay réalisait à nouveau une grande toile emblématique sur huile de 216,5 cm x 259,4 cm de Léon Bonnat avec ses élèves. Une œuvre toute en contrastes noir et blanc à la manière de Bonnat. Vêtue de blanc au coeur du tableau, Marie Garay illuminait l'assemblée des élèves et du grand maître, tous vêtus de noir ! En fond, un médaillon suspendu au mur figure son premier enseignant, Achille Zo. A travers cette oeuvre impressionnante, Marie Garay témoigne ainsi de sa reconnaissance à ses deux maîtres qui lui avaient transmis un savoir artistique de qualité qu'elle prodigua à ses propres élèves en leur inculquant le goût du dessin. Marie Garay se consacra tout autant à l’enseignement artistique auprès des jeunes filles, à l’Institution Jeanne d’Arc créée par ses trois sœurs en 1895. Afin de les aider, elle rédigea entre 1892 et 1894 un manuel de perspective de 113 pages pour préparer ses étudiants au Brevet élémentaire. Publié en 1894, cet ouvrage très utile fut couronné de succès et lui valut un diplôme et une médaille de bronze à l’Académie des Sciences et Belles Lettres de Bordeaux.
Bien qu’elle ait interrompue son activité picturale pendant la rédaction de son manuel, elle la reprendra aussitôt après sa publication. Peintre de talent, cette célibataire - tout comme le fut son maître Léon Bonnat, porté par la foi chrétienne -, aura marqué une génération de jeunes peintres dont elle fut la première artiste au féminin à être reconnue, distillant le parfum de son âme, son souvenir, comme l' évoquait George Sand à propos des êtres chers.
Légende 1 : Marie Garay - Léon Bonnat et ses élèves - Huile - 1914 - 216,5 cm x 259,4 cm - copyright musée Bonnat-Helleu - Cliché A.Vaquero.
De g.à d. / Denis Etcheverry, Henri Zo, Georges Bergès, Eugène Pascau, Marie Garay, Daniel Saubès, Henry-Caro-Delvaille, Benjamin Gomez.
Source : Bulletin du Musée Basque n°199 « Marie Garay (1861-1953)