Yusuku Kafuku (Hidetoshi Nishijima) est un acteur et metteur en scène de théâtre renommé. Sa femme, Oto (Reika Kirishima), ex-actrice est devenue une scénariste de séries télévisées très demandée. Elle a une personnalité hors du commun : elle n’arrête pas d’élaborer des intrigues de scénarios même en faisant l’amour avec son mari. Le lendemain, elle a tout oublié. Yusuku compréhensif, lui remémore ses soliloques : elle les note pour son travail d’écriture. C’est un couple en apparence très aimant, fusionnel. Yusuku connait un gros succès avec la pièce qu’il vient de monter : En attendant Godot (1952) de Samuel Beckett (1906/1989). Le couple, chacun dans son domaine, rencontre une grande réussite.
Subitement, un drame intervient dans ce couple infracassable … Yusuku se retrouve esseulé, comme perdu dans la grande ville. Deux ans s’écoulent ainsi …
Yusuku Kafuku reçoit un appel de la ville martyre d’Hiroshima. Une association lui, propose de monter dans le cadre d’un festival de théâtre Oncle Vania (1897) de l’écrivain et dramaturge russe Anton Tchekhov (1860/1904). Après quelques hésitations, il accepte la proposition. Il se rend à Hiroshima distante de 500 kilomètres dans sa voiture de collection : une Saab 900 Turbo rouge avec un volant à gauche à l’européenne (conduite à droite) pour une conduite à gauche à la japonaise ! Yusuku cajole sa voiture de collection dont il est très fier. A Hiroshima les responsables du festival lui proposent une liste de candidats hétéroclites pour les rôles principaux d’Oncle Vania. Après avoir fait un premier tri, il auditionne des acteurs de tous âges issus de milieux sociaux, culturels, ethniques forts divers. Le casting définitif est étonnant …
Le règlement du festival interdit à Yusuku de conduire sa propre voiture et encore moins de prendre un taxi pour se retirer après sa journée de travail, dans un appartement spacieux situé au bord d’un lac à une heure de voiture. Une jeune femme Misaki Watari (Toko Miura) est assignée comme chauffeur. De mauvaise grâce, Yusuku se plie à cette exigence d’autant qu’il veut conserver sa voiture pour les trajets (une Saab 900 Turbo rouge, voiture suédoise légendaire des années 1980/1990) mais il redoute la conduite par la jeune femme.
Tous les soirs, après de longues et fastidieuses séances de lecture, à la table avec les acteurs (à l’italienne), Misaki mutique, ramène le metteur en scène dans sa demeure qui surplombe un lac.
Les longs allers retours journaliers entre le domicile de Yusuku et la salle de répétitions finissent par délier les langues des deux protagonistes, d’autant que le travail théâtral s’annonce difficile compte tenu des exigences du metteur en scène et de la disparité des acteurs …
Drive My Car (179’) est le neuvième long métrage du cinéaste japonais Ryusuke Hamaguchi (43 ans) dont nous avons admiré deux de ses précédentes œuvres projetées en France : Senses (2015), histoires croisées de quatre femmes devenues amies d’une durée de 317’ (5h17 minutes, diffusé en 3 séances !) et Asako I &II (2018) centrés sur la disparition/apparition d’un etre aimé (119’). Drive My Car est une adaptation de la nouvelle éponyme du recueil Des hommes sans femmes (2017- Belfond) du célèbre écrivain japonais Haruki Murakami (72 ans). Le réalisateur a bâti un solide scénario dont la première partie (durée 40 minutes environ) retrace la vie de Yusuku et de Oto, sa femme. Ensuite, après le générique (deux ans plus tard dans la narration) Yusuku Kafaku part avec sa Saab 900 Turbo à Hiroshima.
D’un monde clos, solitaire, cloitré dans son appartement, il passe soudainement à un monde ouvert : la route vers sa destination. Tout le film oscille entre le clos (salle de répétition, appartement, l’habitacle de la voiture : plans rapprochés) et l’ouvert (les multiples voyages en voiture, les paysages : plans larges éloignés). Mais la voiture est aussi un espace clos qui se déplace sur une étendue ouverte.
Ryusuke Hamaguchi par une mise en image précise, chirurgicale, mais jamais pesante, fluide, passe d’un espace à un autre où les personnages peu diserts, nous renseignent par bribes : monologues, répliques/reprises d’Oncle Vania à la table, brefs échanges (Yusuku, Misaki la chauffeure, etc.). Les principaux protagonistes prennent ainsi une épaisseur humaine par strates, malgré un texte en apparence simple mais dont on devine le sous-texte à l’instar de la pièce d’Anton Tchekhov : Oncle Vania. Ryusuku Hamaguchi et son coscénariste (Takamasa Oe) ont installé une porosité dramatique entre Drive My Car et la célèbre pièce du dramaturge russe.
Au terme de la représentation publique d’Oncle Vania avec tous les comédiens, si différents, le public applaudit à tout rompre la dernière réplique de Sophia Alexandrovna (Sonia) : « Tu n’as pas eu de joie dans la vie … Mais patience, oncle Vania, patience … Nous nous reposerons … Nous nous reposerons … ».
Au Festival de Cannes 2021, Drive My Car présenté en sélection officielle, a obtenu le Prix du Scénario pour Ryusuke Hamaguchi et Takamasa Oe. Certains critiques professionnels, non des moindres, avaient pronostiqué la Palme d’Or pour ce jeune cinéaste (42 ans) à la filmographie déjà impressionnante. Il n’en fut rien ! Mais l’avenir dure longtemps !