« On the Milky Road » - Film serbo-britannico-américain d’Emir Kusturica – 125’
Le temps retrouvé d’Emir Kusturica
Depuis plus d’une décennie nous avions perdu de vue Emir Kusturica lequel semblait plus intéressé par la musique, son « No Smoking Orchestra », que par le cinéma. Ses derniers opus étaient peu ou mal distribués. Nous nous souvenions de sa première Palme d’Or (à 31 ans !) au Festival de Cannes « Papa est en voyage d’affaires » (1985), puis sa deuxième, dix ans plus tard, « Underground » (1995), sans compter, entre ces deux récompenses suprêmes pour un cinéaste, l’extraordinaire « Temps des Gitans » (1988) et « Arizona Dream » (1993). Nous étions épatés par ce metteur en scène hors du commun, maître de son art, avec son univers contrasté, coloré, à la fois tragique et burlesque.
Ce bosniaque né à Sarajevo (1954), mais d’origine serbe, porte en lui dans sa chair toutes les contradictions et déchirement de ce pays « centrifuge », aujourd’hui disparu, qu’était la Yougoslavie du Maréchal Tito (mort en 1980). Le pays littéralement créé autour de la Serbie après la Grande Guerre, a explosé en petites républiques antagonistes : Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, etc. Emir Kusturica est resté attaché à la Serbie bien qu’il ait acquis également la nationalité française. Le Maréchal Tito disait : « La Yougoslavie a six républiques, cinq nations, quatre langues, trois religions, deux alphabets, mais un seul parti ».
De nouveau, de tous ces tourments engendrés par l’interminable guerre civile des Balkans (1991-2001), Emir Kusturica a produit un scénario, puis un long métrage qu’il mettra trois ans à réaliser dans des conditions difficiles.
Kosta (Emir Kusturica) est un soldat chargé d’amener du lait aux combattants qui défendent un village perché en haut d’une colline. Kosta va épouser Milena (Sloboda Micalovic), quand surgit alors la belle italienne Nevesta (Monica Bellucci) dont Kosta tombe immédiatement amoureux. Ce chassé-croisé amoureux, alcoolisé, malaxé par une musique tonitruante, est sans cesse perturbé, interrompu par la violence due à la proximité de la guerre qui se perpétue autour des fêtes du village. Un trio de tueurs tombent du ciel d’un hélicoptère : la chasse aux survivants commence.
Le cinéaste, également acteur principal, déploie cette farce tragique, tonitruante, dérangeante, grâce à son don pour les images insolites qu’il est capable de créer en s’inspirant de grands maitres de son art. Sa grande culture cinématographique (Ecole FAMU de Prague qui a formé tant d’importants metteurs en scène de « l’Est ») lui permet de charpenter son récit sans se perdre dans un cinéma nombriliste (écueil de nombreux longs métrages européens). Le bouillonnement, l’inventivité, sont constants une bonne partie du film quand bien même nous notons un essoufflement vers la fin. Il n’en reste pas moins de belles trouvailles visuelles que nous vous laissons le soin de découvrir.
A 62 ans, Emir Kusturica a retrouvé la verve irrévérencieuse, iconoclaste, qui nous avez tant plu dans la première partie de sa carrière avant que le tragique destin de son pays, la Yougoslavie, vienne bouleverser sa vie d’artiste
Jean-Louis Requena