Dernier volet du récit de la chasse aux loups en Kirghizie de Bertrand de Bézenac et François de Laitre en février 2016.
D’un coup, les chevaux partirent au galop. Ils semblaient avoir été effrayés par quelque-chose. Prenant le temps de balayer le paysage de la plaine, nous ne voyions rien de suspect.
Nous remontâmes donc dans les voitures en silence pour nous approcher du village. Il était 1h du matin, le village ne montrait que quelques lumières allumées et était plongé dans un profond silence. Continuant à appeler les loups, nous regardions la plaine baignée de lumière lunaire. Nous pouvions toujours observer les chevaux au loin, qui semblaient tranquilles. D’un coup, Paul se précipita derrière un muret, positionna son arme et la pointa en direction de la plaine. Tout le monde était sur le pont. Paul ne disait rien et regardait la plaine dans sa lunette. Nous le sentions prêt à tirer… Mauvaise nouvelle, il s’agissait en fait d’un chien ou d’un cheval. Si nous commencions à ne plus faire de différences entre un loup et les chevaux, il était temps d’aller nous coucher. Et nous prîmes cette sage décision.
Un ami de Kalyinur dont le nom ressemblait phonétiquement à « PaulJeanPaul », nous héberge gentiment dans sa maison pour la nuit. Sa maison est simple, composée de deux pièce : l’une faisant office de pièce à vivre ou de salon et l’autre, de chambre. Nous rentrons en silence dans la maison car nos hôtes sont en train de dormir. Nous nous entassons à huit dans l’autre pièce pour passer la nuit.
La nuit fut courte. Nous ne levâmes avant l’aube et prîmes rapidement un thé en guise de petit déjeuner. Nos indicateurs nous informèrent que les loups devraient être dans les montagnes derrière le village. Ils avaient tué un cheval dans la nuit. Pauvre bête ! Heureusement que nous étions venus pour défendre nos amis les équidés. Nous mettons alors au point une nouvelle stratégie : une équipe allait monter dans la montagne sur la crête pendant que l’autre allait se positionner dans la vallée. Arnaud, Paul, François, Kalyinur et Mickey feraient partie de l’équipe des grimpeurs, pendant que Bertrand, le garde-chasse et Munarbek feraient partie de l’équipe de la plaine. Cette dernière devant intercepter les loups s’ils décidaient de fuir vers la plaine.
La montée fut rude pour la première équipe et ils mirent une bonne heure à atteindre la crête. Cet effort fut récompensé par un lever de soleil magnifique, la vue sur la plaine et les montagnes en plein éveil était de toute beauté. Malheureusement, nous avions tous fait honneur à la cuisine de la maitresse de maison la veille et certains d’entre nous durent faire des poses dans la nature, n’étant pas totalement habitués à la nourriture kirghize… Passant de crête en crête, la petite équipe longea la plaine dans laquelle était positionné Bertrand, qui ne s’ennuyait pas… Un paysage à couper le souffle ! En examinant une vallée, nos chasseurs crurent voir des traces de loups. Pour essayer de mettre des chances de notre côté, l’équipe du bas, à la demande des Kalyinur, tira à coup de « sulfateuse » sur la montagne. L’objectif était de faire peur aux loups et de le faire remonter vers les chasseurs postés sur la crête. Bertrand se chargea de cette tâche avec beaucoup de tact ! Mais rien ne bougea… Et nos chasseurs continuèrent à longer la crête. Les heures passaient et, comme d’habitude, nous étions partis la fleur au fusil, sans eau ni nourriture. En guise d’eau, nous mangions de la neige. Après 10h de marche, la fatigue et les douleurs survinrent. Il était temps de redescendre et la nuit n’allait pas tarder à tomber.
Arrivés en bas, les chasseurs retrouvèrent Bertrand, le garde-chasse et Munarbek en bonne compagnie. En effet, le vice-gouverneur de la région ayant été sollicité pour faciliter la venue des chasseurs français, il avait décidé de venir assister à la journée de chasse. Et d’accueillir nos chasseurs avec de la vodka et un poulet ! En l’honneur de l’amitié Franco-Kirghize, le gouverneur avait tenu à nous saluer.
Bertrand avait passé la journée en compagnie du vice-gouverneur et sa suite, à manger et à boire tout en portant des toasts en l’honneur d’un tas de prétextes.
Lors de cette journée, Bertrand fera plus ample connaissance avec le fameux « PaulJeanPaul ». Ce colosse kirghize aux traits caucasiens, mesurant près de 2m et âgé d’environ 50 ans, était un champion de kukburu. Ses exploits étaient connus dans toute la région. Il chassait le loup à cheval et avait en avait tué un à coup d‘étrier, après l’avoir poursuivi des heures durant.
Lors d’un match de kukburu, poursuivant le porteur de la chèvre, il avait arrêté le cheval de cet adversaire lancé au galop en attrapant sa selle !
Bertrand ne manqua pas de faire des photos avec cette légende ni de monter sur son cheval.
Paul, Arnaud et François étaient assoiffés et fatigués. Malheureusement pour eux, le vice-gouverneur nous invita à prendre un verre dans la salle des fêtes du village voisin. Une invitation que nous ne pouvions qu’accepter, l’honneur de la France étant en jeu. Nous nous retrouvâmes autour d’une table à faire des discours interminables (à la russe) avant de boire des verres de vodka et de boissons locales à base de maïs fermenté. Dès qu’une bouteille était vidée, une autre apparaissait, puis une autre, puis encore une autre… Nous n’en pouvions plus ! Après quelques flacons, nous remerciâmes poliment le gouverneur et rentrâmes nous reposer. Cette journée fut pour tous inoubliable.
Dernier jour
Le départ pour Bichkek approche, notre détermination était toujours aussi grande. Nous décidâmes de partir en deux groupes, chacun patrouillant dans un endroit où nous avions déjà chassé auparavant. François, Bertrand et Waterbeck sur les crêtes, les autres dans la plaine. Cette fois-ci, nos chasseurs partis sur la crête avaient pris quelques provisions : eau, pain, saucisson. Cette dernière traque fut éprouvante, tant la fatigue se faisait sentir. De plus, la température avait fortement augmenté, avoisinant les 15°C, et la neige avait beaucoup fondu depuis notre arrivée. Les fusils que nous portions semblaient peser bien plus que 4kg lors de cette dernière traque ! Malheureusement, nous ne vîmes pas l’ombre d’un loup…
L’équipée se retrouva chez Waterbeck et c’est devant un coyote tué par ce berger que nous primes la pause, non sans avoir déployé le drapeau français que Paul gardait sur lui en prévision d’une chasse fructueuse. Ce geste allait arracher des larmes au garde-chasse, très sensible au patriotisme.
Nous retrouvâmes le garde-chasse lors du dîner de chasse concocté par la mère et la femme de Kalyinur. Ce dîner était composé d’une spécialité locale : un mouton cuit dans la terre durant une journée. Un régal. Le garde-chasse devant partir un peu avant la fin du repas, ne manqua pas d’emporter un « doggy bag », apparemment une coutume kirghize
Quant à nous, nous repartîmes en France avec une belle peau de loup chacun et une invitation à revenir en janvier 2017. En effet, Kaliynur était un peu vexé que nous n’ayons pas tué de loup et il était un peu moqué par les habitants de la vallée. On apprendra que trois jours après notre départ, des bergers tuèrent deux loups…
Bertrand de Bézenac et François de Laitre