Deuxième partie du récit de la chasse aux loups en Kirghizie de Bertrand de Bézenac et François de Laitre en février 2016.
Après plusieurs heures de marche, nous ne vîmes toujours pas de loup, mais les traces nous indiquaient la direction dans laquelle ils étaient partis. Nous décidâmes de rentrer car le soleil commençait à baisser. En revenant de notre traque, nous croisâmes quelques bergers avec leurs troupeaux, très souvent des chèvres et des moutons. Et, très prévoyants, ils avaient un fusil à l’épaule, un sac avec des provisions et un chien. Descendant la montagne en binômes en direction des voitures, nous passâmes près d’un coin riche en perdreaux. Les armes que nous avions ne laissèrent que peu de chances aux volatiles… Nos amis kirghizes nous proposaient même de tirer sur les aigles ! Nous en avons conclu qu’au Kirghizstan il n’y a pas de différence entre un bon et un mauvais chasseur !
Nous arrivâmes harassés au point de rendez-vous avec deux perdreaux dans la besace. La nuit arrivait et nous décidâmes de quitter le plateau pour revenir le lendemain. Un excellent dîner nous attendait à notre résidence. Nous fîmes tous « honneur » à la cuisine de la maîtresse de maison et partîmes directement nous coucher. Il était 20h, mais les bons et déterminés chasseurs que nous étions savaient qu'un réveil difficile nous attendait.
Après un réveil très matinal, Kalyinur nous fit un rapport sur la présence des loups à la suite de ses appels à son réseau de bergers. Les loups étaient encore sur le plateau ou nous avions patrouillé la veille.
Nous recommençâmes le circuit qui allait devenir habituel durant ce séjour : nous allions chercher le garde-chasse, puis Waterbek et « Mickey » - les bergers - et nous filions pour une bonne heure de voiture en direction du plateau. Sitôt descendus de voiture, nous scrutions la montagne à la recherche des loups puis, rapidement, le garde-chasse sortait du thé, du saucisson, du pain et du fromage, pour le second petit déjeuner.
Les courbatures se faisaient sentir. Nos corps de citadins avaient souffert de la première journée de chasse où nous avions parcouru plus de 10 km à travers la montagne. Paul commençait à avoir mal aux genoux, Bertrand boitait et ne se déplaçait qu’avec un bâton. Tout comme les kirghizes mais qui eux ne souffraient pas.
La stratégie changea pour prendre en compte la fatigue. Nous nous séparâmes en plusieurs groupes pour examiner la montagne à la recherche des traces des loups.
· Paul et Tinchteck descendaient dans le ravin
· Arnaud, Kalyinur et Mickey longeaient la crête sur le flanc est
· François et Waterback sur le flanc ouest
· Bertrand et le Garde-chasse en couverture avec « la sufateuse »
· Mounarbeck restait pour observer le paysage et faire une sieste…
Chaque groupe d’examiner la montagne sans rien déceler de particulier. Des coups de téléphone seront passés régulièrement pour signaliser sa position et faire état de la situation.
Le groupe de Kaliynur sembla avoir vu des traces, Paul et Tinchteck descendirent alors dans le ravin puis, escaladant la montagne, ils rejoignirent le « groupe Kalyinur ».
Pendant ce temps, François, Bertrand, le garde-chasse et Waterbek retrouvèrent Mounarbek à la voiture pour mettre en place la seconde phase de l’opération : la tenaille.
Quittant le plateau, ce petit groupe contourna la montagne afin d’être à son pied, alors que les autres chasseurs étaient positionnés sur la crête. Le voyage pour arriver là-bas fut très long et nous traversâmes des villages isolés entourés de dunes de neige.
Arrivés au pied de la montagne léchée par un ruisseau, nous commençâmes notre observation, qui avec des jumelles, qui avec la lunette d’un fusil…
Quand soudain retentit un cri : « Volk ! » (volk signifie loup en russe, ndlr). Waterbek s’agita, il venait de repérer deux loups allongés à flanc de montagne sur une grosse pierre. Il avait une excellente vue, car nous avons eu beaucoup de mal à les trouver !
Immédiatement, Mounarbek contacta l’équipe restée sur la crête. Nous remontâmes silencieusement le ruisseau pour nous mettre à hauteur des loups et sortir nos armes. Un berger à cheval vint nous rejoindre. Tous examinaient maintenant la montagne avec attention en donnant des instructions à Kalyinur. Nous étions prêts.
Sur la crête, l’équipe de Kaliynur repéra les loups et se prépara à faire feu. Compte tenu de la distance (800 m environ) et surtout de la position de tir acrobatique qu’il fallait adopter pour viser, notre meilleur fusil, Paul décida de confier le tir à Tinchteck. Soudain, on entendit un premier coup de fusil et nous apercevions la neige voler, puis un second coup de feu. Toujours en liaison par téléphone avec nos compagnons sur la crête, nous reprenions la voiture pour nous rapprocher de l’endroit où les loups pourraient descendre la montagne et traverser la rivière.
Prêts à tirer, nous observions consciencieusement la montagne. D’un coup, nous entendîmes le berger à cheval nous indiquer qu’un loup venait de passer derrière nous.
Ratbek, le garde-chasse, récupéra alors son arme, emprunta le cheval du berger et fonça dans la montagne à sa poursuite. Nous suivions aussi en suivant le loup à la trace. Il était blessé et perdait du sang. Sa poursuite à pied se révéla fastidieuse, peut-être avions-nous oublié que nous étions en haute montagne ? Et de réaliser, après quelques minutes, qu’il avait sûrement déjà dû passer dans la vallée derrière, malgré de sérieuses blessures. L’arrivée de la nuit nous engagea à reporter au lendemain l’envoi d’un berger sur les traces de « notre » loup.
Après que notre seconde équipe fut descendue fourbue de la montagne, nous reprîmes le chemin de nos pénates pour un diner bien mérité. La fin de la soirée fut employée à savoir si nous ne faisions pas une journée allégée le lendemain. Nos corps de citadins commençaient sérieusement à nous faire souffrir… Il fut décidé une grasse matinée jusqu’à 8h !
Finalement, à 6h, Kalyinur débarqua dans notre chambre pour nous réveiller bruyamment : les loups étaient descendus dans la plaine et s’y trouvaient encore ! Nous nous préparâmes aussi vite que possible et, moins d’une heure plus tard, nous étions dans la plaine. Vide !
Les bergers à cheval qui surveillaient l’endroit avaient fait fuir nos proies… La déception se lisait sur nos visages. Nous passâmes alors une bonne partie de la matinée à nous entraîner au tir. Nous fîmes mouche à plus de 300 m !
Les jours suivant ressemblaient au premier jour, nous parcourrions la montagne en suivant des traces de loups, mais sans les trouver. L’absence de précipitation neigeuse ainsi que la remontée des températures rendaient notre chasse plus difficile.
Nous partîmes - toujours sans eau et sans nourriture - à gravir les montagnes, en ayant avalé rapidement un frugal petit déjeuner à 5h du matin. Il n’était pas rare que nous « mangions » de la neige pour étancher notre soif. Heureusement, le garde-chasse, véritable glouton, avait toujours quelques provisions dans sa musette. Il était décidément toujours bien organisé. Le retour aux véhicules en général vers 15h constituait une joie, car nous pouvions enfin nous rassasier !
Les loups se faisant rares, pour occuper le temps, nous nous entraînions à tirer sur des pierres à des distances assez importantes : 400, 600 mètres (distances interdites en France) !
Notre ami Tinchteck, musulman pratiquant, s’arrêtait régulièrement pour faire ses prières dans la neige. Malgré le froid, il retirait son manteau, ses chaussures, et faisait sa prière dans la montagne. Il nous expliquait que Dieu avait mis tous les animaux à disposition de l’homme, et que pour cela, l’homme était libre de les chasser sans restriction. Malgré sa foi brûlante, le froid eut raison de Tinchtek et il couvait une crève à la fin de notre séjour.
(A suivre)