Deux très bons amis, Bertrand de Bézenac et François de Laitre, ont effectué plusieurs périples au Kirghizstan, l’un en mai 2015 (notre « Lettre » du 10 février) et le second, l’hiver dernier, à l’occasion d’une chasse aux loups – animaux réputés nuisibles dans ce pays, car massacreurs de troupeaux –. Ils ont accepté de livrer à nos lecteurs le récit de leurs expéditions dont nous publions ici la suite (début de ce récit dans notre « Lettre » précédente, du 24 février, ou sur www.baskulture.com).
Chasse au coyote de nuit et au renard dans les plaines autour de Toktogul
Un soir, alors que nous étions rentrés plus tôt que d’habitude de la chasse, nous décidâmes de partir à la chasse au coyote après le dîner. Le principe était simple : être silencieux, avoir une lampe torche assez puissante et un fusil. Nous descendîmes dans la plaine derrière la maison et commençâmes à balayer lentement les champs avec la lampe torche tout en essayant de les attirer au moyen d’un appeau de lièvre.
Le coyote est un animal curieux qui, lorsqu’il est éclairé, s’arrête et regarde avec un air étonné et philosophique en direction de la source lumineuse. A ce moment-là, le bon chasseur saisit l’occasion et pointe directement son fusil en direction des yeux rouges du coyote pour faire feu. La chasse au coyote dans le champ sera aussi fructueuse que notre chasse au loup. Quelques moments d’excitation où nous avons cru voir des yeux rouges ou entendu quelque-chose, mais ce ne furent que des fausses alertes. Nous décidions alors de changer de site et d’aller près de la ferme où nos hôtes entretenaient leurs chevaux. Bertrand fut désigné chasseur et on lui remit le fusil. Kalyinur commença à balayer la montagne avec sa torche. D’un coup, il s’arrêta et l’on put distinguer des yeux rouges. Bertrand épaula rapidement et tira en direction de l’animal. Nous nous précipitâmes tous comme des hommes affamés sur les lieux de l’animal, en haut d’une colline, Bertrand n’avait vraisemblablement pas fait mouche… Compte tenu du tapage que nous avions créé, les chiens du quartier se mirent à aboyer et nous décidions de quitter discrètement les lieux. Cette chasse de nuit ne fut pas fructueuse mais l’ambiance de cette micro aventure fut très amusante.
Match de Kukburu
Un jour, n’ayant pas trouvé de traces des loups, nous avons décidé d’interrompre notre chasse pour la journée et d’aller voir un match de kukburu, au fond de la vallée.
Ce sport célébré par Joseph Kessel dans son livre « Les Cavaliers » est le sport national. Le Kouk-borou est connu depuis le zoroastrisme. Ce jeu équestre est très populaire parmi les Kazakhs, Kirghizes, Tadjiks, Ouzbeks et d'autres peuples d'Asie centrale.
Le principe est assez simple : il suffit d’avoir un terrain assez grand avec à chaque extrémité un grand cercle surélevé creusé. Deux équipes s’affrontent à cheval et ont comme objectif de porter dans le but adverse une chèvre remplie de pierres à laquelle on a coupé la tête. Tous les peuples d’Asie Centrale jouent à ce jeu. C’est un jeu qui se joue en hiver car les villageois ont moins d’activité durant cette période dans les champs, compte tenu de la neige.
La particularité du match auquel nous avons assisté vient du fait que le terrain n’était pas plat, qu’il opposait près de 50 cavaliers, et surtout, que c’était du « pur kukbourou ». C’est-à-dire qu’il n’y avait pas de règle : le terrain n’a pas de limite, chaque joueur est libre de se mêler au jeu et de prendre la chèvre… Après, il prend le risque d’être poursuivi par les autres. On sent que l’ambiance est bonne. Certains joueurs sont vêtus de casques de char pour se protéger la tête, d’autres paraissent un peu imbibé par l’alcool … Mais tout ce petit monde joue avec un bon esprit.
Quelques joueurs nous proposent leurs chevaux pour participer au jeu. Kalyinur nous le déconseille fortement car nous ne sommes pas sûrs de revenir entier …. Nous refusons donc chaleureusement cette invitation. Nous avons quand même eu le plaisir de pouvoir observer la chèvre sur un cavalier et d’immortaliser ce moment avec une photo de groupe. Nous étions l’attraction. Pour certains, c’était la première fois qu’ils voyaient des étrangers. Les joueurs s’arrêtaient de jouer pour nous saluer.
Le jeu était très intense. Nous ne vîmes pas al afin du match car les cavaliers furent entrainés dans le village à la poursuite du porteur de la chèvre…
En fin d’après-midi, nous sommes revenus sur les lieux où nous avions aperçu et tiré les loups. Avec Mickey, nous trouvâmes des traces de sang dans la vallée ainsi que la couche où le loup s’était reposé la nuit précédente. Les loups semblaient être partis vers le sud d’après l’examen des traces. Version qui nous fut confirmée par les bergers du sud qui nous dirent avoir aperçu des loups dans la plaine, dont un qui suivait derrière, à distance, et semblait mal-en-point. Nous décidâmes alors de déplacer notre terrain de chasse du lendemain vers le sud à la suite à ces indications.
Chasse de nuit
Les jours nous étaient comptés et le tableau de chasse restait bien maigre, voire complètement vide. La météo n’était pas aidante, il faisait beau, et le froid n’était plus aussi vif que lors de notre arrivée. La neige durcie nous empêchait de déceler facilement les traces fraîches des loups. Nous décidâmes de redoubler d’effort et d’augmenter nos chances. Plusieurs idées furent évoquées : mettre une chèvre ou un cheval à un poteau, acheter un vagin de louve fraîche (technique traditionnelle kirgize)… Tout cela dans le but d’attirer nos loups ! Finalement nous options pour des solutions plus « standard », à savoir : tenter la chasse de nuit puis dormir sur place pour éviter les temps de trajet et être plus rapidement disponible le matin.
Nous dînâmes rapidement et repartîmes vers minuit dans la grande plaine du sud où les loups avaient été vus pour la dernière fois. Le trajet en voiture fut assez fastidieux. Nous roulions sur des semblants de pistes enneigées entre des vallons. C’était un soir de pleine lune et nous pouvions facilement distinguer les montagnes et la plaine. Pour éviter de nous faire repérer, nous éteignions les phares des voitures et continuions à rouler. Munarbeck, notre chauffeur, n’était pas très à l’aise en conduisant sur les pistes enneigées, il fallait mieux lui tenir le volant de temps en temps pour éviter de mauvaises aventures. Il était moins un homme de terrain comme son frère, il se sentait plus à l’aise dans un bar entouré de jeunes femmes. D’après son frère, il aurait fait chavirer beaucoup de cœurs de jeunes femmes à Bichkek…
Nous arrêtâmes les voitures au milieu de la plaine et descendîmes, carabines en main. Nous positionnant tout autour des voitures à des endroits différents sur des buttes, nous avions un angle de tire important. La lumière était surprenante, et, dans la lunette de nos carabines, nous pouvions voir comme en plein jour. Les loups n’avaient qu’à bien se tenir !
Non loin de nous se trouvait un troupeau de chevaux qui avait décidé de passer la nuit-là.
Kalyinur sortit un appeau et commença à appeler les loups à plusieurs reprises. Le silence de la plaine était saisissant. Nous étions prêts et impatients. Observant la plaine et la montagne. La fièvre du chasseur nous montait à la tête.
Bertrand de Bézenac et François de Laitre
A suivre dans l’article qui suit (IV)