Les processions en l’honneur de Saint Simon et Saint Jude que Bayonne avait initiées au XVIe siècle (voyez notre article en rubrique « Tradition) nous permettent d’évoquer la figure de Louis de Foix, un ingénieur-architecte qui vécut au XVIe siècle et dont les travaux eurent une énorme importance pour la capitale labourdine dont un lycée porte d’ailleurs le nom.
Mais l’origine de cette extraordinaire entreprise remonte à bien plus loin dans le temps. On raconte que c'est un cataclysme qui a dévasté tout le Sud-Ouest au début du XIVe siècle (la date en a été perdue dans les mémoires : 1310 ou 1330 ?) qui, survenant au moment de la fonte des neiges, a gonflé en quelques heures tous les affluents pyrénéens de l'Adour et transformé le fleuve en une masse torrentielle irrésistible d'eaux boueuses. En même temps, la tempête déchaînée sur l'océan devant Capbreton accumulait sur la côte des masses de sable au point de former une barre face au Gouf et bloquant brusquement la sortie en cet endroit.
L'Adour se précipita alors vers le Nord : il arracha tout sur son passage, sur une largeur de 400 m. L'Adour traversera Ondres et le pays de Labenne, engloutissant les étangs voisins, absorbant le lac d'Hossegor, ravageant le territoire de Soustons pour trouver enfin l'issue qui lui permettait de se jeter dans l'océan. Le calme revenu, un nouveau cours de l'Adour était né, long de 28 km au-delà du tournant de Bayonne et se terminant par une nouvelle embouchure : le Boucau de Marensin (Vieux-Boucau maintenant) et donc par un nouveau port à qui on donna le nom de Port d'Albret. Une sortie secondaire demeurait toutefois à Capbreton, mais rarement praticable pour les navires un peu importants.
Les Bayonnais se trouvèrent ainsi à une trentaine de kilomètres de l'embouchure de leur fleuve. Cela eut des conséquences sur la navigation, donc le commerce : en particulier, la concurrence des ports très actifs de Port d'Albret et Capbreton, qui profitèrent de cette nouvelle position pour ruiner Bayonne. Devenus Français après la guerre de Cent Ans, les Bayonnais insistèrent alors si fort auprès des rois successifs que Charles IX ordonna en 1562 de rechercher la solution pour donner au fleuve une embouchure à Bayonne. Et on commença à creuser un chenal direct à la mer en partant de la proximité de la ville. Le 8 février 1571, le roi désigna l’architecte Louis de Foix pour diriger ces travaux.
Le 25 octobre 1578, à Bayonne…
Louis de Foix était né à Paris entre 1530 et 1538, et mort entre 1602 et 1604. Il vécut longtemps en Espagne où il construisit pour Philippe II d'Espagne l'immense château royal de l'Escorial, au nord de Madrid. Bayonne: construction d'une digue de charpente et de maçonnerie (du Trossoat), pour fermer la rivière, creusement d'un canal de 1800m de longueur et de profondeur suffisante pour recevoir le cours de l'Adour. Le 25 octobre 1578, une violente tempête précipita le mouvement : la Nive déferla en une crue subite, menaçant d'engloutir Bayonne mais, par une formidable pression poussa l'Adour qui ouvrit le nouveau passage. Notre architecte venait de réussir le détournement de l'Adour !
On lui doit aussi, à l'embouchure de l'estuaire de la Gironde, la construction du phare de Cordouan que l’on appelle le « Versailles des mers ». A l’occasion de son IVe centenaire, l’écrivain Jean-Pierre Alaux avait publié un roman, « Avis de tempête sur Cordouan », une enquête haletante entre terre et mer. Il s’agit de la deuxième aventure de Séraphin Cantarel. Au cours de cette histoire qui débute le 2 avril 1974, au moment du décès du président Georges Pompidou, Séraphin Cantarel est conservateur en chef des Monuments française après l’avoir été au Musée Bonnat de Bayonne. Assisté de son jeune adjoint Théo, il doit expertiser le phare de Cordouan. À l’entrée de l’estuaire de la Gironde, ce joyau architectural mériterait une restauration s’avérant coûteuse.
Or, si l’actuelle construction du Phare de Cordouan date du XVIIe siècle, son histoire est plus ancienne. La circulation des navires était très dangereuse à la sortie de l’estuaire de la Gironde. Au XIVe siècle, le Prince Noir, prince d'Aquitaine et fils aîné du roi Édouard III d'Angleterre, qui gouverna la Guyenne de 1362 à 1371, ordonna la construction d'une tour au sommet de laquelle une personne vivait recluse et allumait de grands feux, la Tour du Prince Noir. Mais, cette tour fut vite abandonnée, et, deux siècles plus tard, elle était en ruines. À la fin du XVIe siècle, le Maréchal de Matignon, gouverneur de Guyenne, se préoccupa à son tour de la sécurité de la navigation dans l'estuaire. Le 2 mars 1584, en présence de son ami Michel de Montaigne, maire de Bordeaux, il passa commande du phare de Cordouan à Louis de Foix.
A sa construction, qualifiée d'« œuvre royale », Louis de Foix va consacrer 18 ans de sa vie et toute sa fortune. Il mourra en 1602 avant d'en voir la fin. Les travaux nécessitèrent l'édification et le maintien en état continuel de défenses en grosses pierres de taille entre-liées de bois tout autour du plateau pour protéger la cité ouvrière. Celle-ci comprenait notamment, en dehors des chantiers proprement dits, un four à chaux, des ateliers, une menuiserie, une charpenterie, un charronnage, une forge, des logements pour l'ingénieur et jusqu'à cinquante ouvriers, des magasins de vivres, un chai pour le vin, un moulin à blé, un four à pain, et enfin une écurie pour les six ou sept chevaux qui charriaient les matériaux ainsi qu'une grange pour leur fourrage.
Son fils reprendra la succession de Louis de Foix, mais il s’y ruinera lui aussi pour transmettre le flambeau à François Beuscher, ancien conducteur de travaux de Louis de Foix qui termina son œuvre en 1611, soit 27 ans après la signature du contrat. Lors de sa mise en service dès sa construction terminée en 1611, le phare était constitué d'un petit dôme à huit baies fermées de vitraux. Dans un bassin placé sur un piédestal en bronze, on brûlait du bois enduit de poix, d'huile et de goudron. La fumée était évacuée par une pyramide creuse de 6,50 m de hauteur. Le feu était situé à 37 m au-dessus des plus hautes mers. Une fois le phare achevé, les défenses n'étant plus entretenues, la mer eut rapidement raison de ce qui subsistait de la cité ouvrière, ne s'arrêtant qu'au roc de l'îlot de Cordouan.
A part l’Adour à Bayonne et le phare de Cordouan, Louis de Foix avait mené d’autres travaux :
- réparation des fortifications de Bayonne (1572-1573, puis 1584 et 1592), et reprises et renforcement des ponts de la ville ; 1582 - 1602/1604 : renforcement des défenses de Bordeaux et approvisionnement en eau de la ville.
- 1594 -1595 : étude d'un modèle pour les pompes et fontaines de Paris. 1598 : étude des piliers, arceaux et tours du Pont-Neuf de Toulouse. 1601: participation aux études de reconstruction du Pont-Vieux de Villeneuve-sur-Lot. Sans oublier qu’il fut, en Espagne, l’architecte de l'Escorial !
Alexandre de La Cerda