20 octobre 1620 : le royaume de Navarre et la principauté du Béarn sont annexée au royaume de France par Louis XIII. Le royaume de Navarre gardait ses institutions, ses lois, sa monnaie, il ne dépendait pas de la France, il ne partageait avec celle-ci que le même monarque.
Il n’est pas inutile de revenir sur cet épisode historique qui engendra de nombreuses contestations, jusqu’à l’élimination pure et simple de la Navarre et du Béarn par la révolution de 1789...
Par lettres patentes données à Nancy le 13 avril 1590, le fils et héritier de Jeanne d’Albret, Henri III de Navarre (Henri II en Béarn), devenu Henri IV, lorsqu’il monta sur le trône de France avait décidé de ne pas réunir ses possessions au domaine de la Couronne de son nouveau royaume. Le parlement de Bordeaux les enregistra le 7 mai 1590. Mais le parlement de Paris, siégeant à Tours, s'opposa à leur enregistrement. Par un édit de juillet 1607, le roi céda et réunit ses possessions mouvantes de la Couronne au domaine royal de France, mais à l'exception de ses possessions souveraines de la Navarre, du Béarn et du Donezan.
A la mort d’Henri IV, les conflits entre protestants et catholiques - qu’il avait toujours essayé d’éteindre, de son vivant – reprirent de plus belle et en 1615, l’évêque d’Auch demande officiellement le rattachement du Béarn et de la Navarre à la couronne de France ainsi que le retour du catholicisme. Les deux camps vont interpeller le jeune roi Louis XIII sur cette déclaration fracassante et le souverain tranchera en 1616 en faveur d’une union entre les deux territoires en signant en 1617 l’édit de Main levée afin de rétablir les biens catholiques en Béarn. Un édit non enregistré par le conseil souverain béarnais qui résistera, conscient qu’il s’agissait de la fin de son indépendance…
Mécontent, Louis XIII se rendra en 1620 à Pau où il est mal reçu, puis à la place forte béarnaise de Navarrenx, qu’il fait désarmer avant de retourner dans la capitale béarnaise afin d’y faire enregistrer de force l’édit de Main levée et promulguer l’union entre la France avec le Béarn et la Navarre.
Le syndic des Etats de Navarre s'opposa à son enregistrement. Les juges ne parviennent pas à s'accorder : s'ils approuvent l'union de la Basse-Navarre à la couronne, ils sont partagés sur l'union de la chancellerie au conseil souverain. Ils rendent un arrêt de partage.
En novembre, les Etats de Navarre, réunis en l'église Saint-Paul de Saint-Palais, dressent des remontrances et envoient une délégation de députés demander au roi demander la révocation de l'édit. Le 30 avril 1621, par un premier arrêt du Conseil, le roi sursoit à l'union de la chancellerie de Navarre au nouveau parlement puis, le 30 juin 1622, par un second arrêt du Conseil, il permet aux officier la chancellerie d'exercer leurs fonctions.
Mais, par un édit de juin 1624, le roi confirme l'union de la chancellerie au nouveau parlement, dit « parlement de Navarre » bien que siégeant à Pau14. Néanmoins, en juillet 1639, le roi crée, pour la Basse-Navarre, une sénéchaussée de Navarre relevant, en appel, du parlement de Pau.
La Navarre (Basse-Navarre) résista : en témoigne une lettre écrite le 25 janvier 1617 par la plus haute autorité de navarraise, le vice-roi Pierre de l'Hostal, au lieutenant du roi en Navarre et en Béarn, Jacques de La Force. Ce document, dévoilé il y a quelques années à Pampelune, laisse apparaître un texte très dur et direct « se plaignant que le véritable objectif de l'union est l'élimination de la Basse-Navarre en tant que royaume, qui deviendrait une simple province ».
Après son « union » à la France par l'Edit d'Union de 1620, la Basse-Navarre subit la pression des Intendants royaux : un exemple en fut fourni par la réunion de la saline d’Aincille au domaine royal en vertu d’un arrêt pris en Conseil d’Etat sur l’initiative des Intendants et à la création d’un monopole royal sur le sel en Basse-Navarre, pourtant zone franche.
La réaction fut immédiate : l’union sacrée se fera autour des 29 maisons, copropriétaires de la saline, dépouillés de leurs droits. Le 30 octobre 1684, en l’église Saint-Paul à Saint-Palais, les Etats de Navarre s’opposèrent d’une seule voix à cette usurpation en s’engageant dans un procès devant le Conseil d’Etat contre l’administration des fermes générales. Le lundi 28 mai 1685, lors du marché de Saint-Jean-le-Vieux, une émeute eut même lieu, qui rebondit le 4 juin avant d’être sévèrement réprimée.
Finalement, pour conserver la propriété de leur saline, les habitants d’Aincille obtiendront le soutien du gouverneur de la province, le Duc de Gramont, pour intercéder auprès de Louis XIV.
Et, le 15 juillet 1687, un arrêt du Conseil d’Etat en présence du Roi rendra la propriété de la saline à ses habitants et fera défense à quiconque de venir les en troubler. Ainsi, malgré les empiétements des Intendants royaux, la Basse-Navarre n'avait jamais désarmé, comme d’ailleurs les autres territoires basques, à l’image du Labourd, voisin, qui avait gardé son Biltzar et que même l’administration de Louis XIV dut plus ou moins respecter. D’ailleurs, lorsque survint la révolution française, considérée comme « étrangère », la Basse-Navarre y vit l'occasion de récupérer son autonomie originelle. Et ses délégués refusèrent de se mêler et de siéger avec les députés français lors des Etats-Généraux de 1789.
On sait, hélas ce qu’il en advint : en dehors des atrocités dont elle se rendit coupable, en particulier lors de la déportation des Basques en 1794, la Révolution fit surtout montre d'une rare incompréhension et méconnaissance des réalités du pays. Elle supprima définitivement les « fors » ou privilèges, c'est à dire les libertés particulières des provinces basques, sans voir qu'ils étaient en quelque sorte, une déclaration des droits de l'homme bien antérieure à l'autre, et méritaient assurément plus de respect de la part de ceux qui se croyaient des novateurs. Pas plus que Pierre de Rostéguy de Lancre lors des procès de sorcellerie en 1609, les révolutionnaires n’avaient su appréhender les institutions traditionnelles et l’esprit du gouvernement séculaire des Basques. De toute antiquité d'ailleurs, comme le soulignait l’historien Eugène Goyheneche, figuraient dans les fors de Navarre les deux principes fondamentaux que proclamait la révolution à son avènement : la souveraineté nationale et le vote de l'impôt par les représentants de la nation...
Il est très intéressant, à cet égard, de relire le « Tableau de la constitution du royaume de Navarre, et de ses rapports avec la France ; imprimé par ordre des États-généraux de Navarre, avec un Discours préliminaire, des notes, par M. de Polverel, Paris 1789 ».
Dans les années 1780, Étienne de Polverel, avocat à Bayonne (bien que né en 1738 à Brive) avait été introduit par le marquis d'Olhonce dans les affaires politiques du royaume de Navarre. Il se trouve ainsi chargé par les États de Navarre de démontrer au roi Louis XVI (Louis V de Navarre), sur le plan juridique et historique, qu'en Navarre la terre avait été de tout temps libre de toute redevance, de toute servitude. Le résultat de ses recherches fut publié sous le titre "Mémoire à consulter sur le franc-alleu du Royaume de Navarre" (Paris, 1784) où il insiste sur l'indépendance du royaume, uni sur un pied d'égalité avec la France. Pour le récompenser de la qualité de son travail, il fut reçu, exceptionnellement et par dérogation, dans l'ordre de la noblesse aux États de Navarre.
Au début de la Révolution française, Polverel fut à nouveau chargé par les États de Navarre, avec le titre de syndic, de défendre l'indépendance du royaume de Navarre face aux intentions menaçantes de la nouvelle Assemblée nationale française. À Paris, les députés navarrais refusant de se fondre dans une assemblée étrangère, ce fut le syndic Polverel qui fit lecture à la tribune d'un texte revendiquant cette indépendance et la défense du maintien du titre de roi de Navarre.
Preuves de l’indépendance du Royaume de Navarre par Etienne Polverel, 1789
La fondation du Royaume de Navarre remonte au commencement du 8e siécle. Ce Royaume n’a jamais été mouvance ni dépendance du Royaume de France, ni d'aucune autre puissance. L'usurpation de la haute Navarre par Ferdinand le Catholique a divisé le Royaume en deux. Ferdinand voulut unir sa conquête au Royaume d'Aragon dont il était propriétaire. Les Navarrais s'y refusèrent. Ils ne voulurent être unis qu'au Royaume de Castille, dont Ferdinand n'avait que l'administration. Ferdinand fut obligé de céder. La haute-Navarre fut donc unie au Royaume de Castille, mais à la charge qu'elle continuerait d'être, malgré l'union, un Royaume subsistant par lui-même, & indépendant du Royaume auquel on l'unissait.
La condition fut acceptée par Jeanne, Reine de Castille & par Charles-Quint, son fils.Tous leurs successeurs s'y sont soumis par leur serment, à leur avènement au trône. La basse-Navarre repoussa l'usurpateur. Son courage & sa fidélité la conservèrent aux Princes de la Maison d'Albret, qui la transmirent à Henri IV. Avant l'avènement d'Henri IV au trône de France, la basse-Navarre n'a certainement pas été mouvance ni dépendance de la couronne de France. Elle n'a pas été unie à cette couronne par l'avènement d'Henri IV au trône de France. Je sais bien qu'alors la France a enrichi son code national d'un principe jusqu'alors inconnu ; elle a déclaré que toutes les propriétés du Prince qui montait sur le trône, déjà soumises à la souveraineté ou à la suzeraineté de la couronne, étaient unies de plein droit au domaine de la couronne, c'est-à-dire au domaine de la nation.
Mais elle n a pas étendu ce principe aux souverainetés indépendantes de la couronne de France. L'Edit de 1607, qui, après dix-huit ans de débats, a consacré enfin la nouvelle doctrine, a distingué dans le patrimoine d'Henri IV deux sortes de propriétés ; les terre mouvantes de la couronne, & les souverainetés indépendantes. II a déclaré les terres mouvantes de la couronne unies de plein droit au domaine par l'avènement d'Henri IV au trône de France. II n'a rien dit des souverainetés indépendantes. Deux souverainetés indépendantes l'une de l'autre peuvent bien être sous la domination du même Prince ; mais elles n'acquièrent par là aucun droit l'une sur l'autre. Aucune des deux n'a le droit d'imposer des lois à l'autre. C'est ainsi que l'Angleterre & l'Ecosse ont été, pendant plus d'un siècle, Royaumes distincts & indépendants l'un de l'autre, quoique soumis aux mêmes Rois.
C'est parce que Louis XIII savait que l'union de plein droit, déclarée par l'Edit de 1607, ne pouvait pas s'appliquer à la Navarre, qu'il crut avoir besoin d'un autre Edit pour opérer cette union. Il publia cet autre Edit au mois d'Octobre 1620. II unit & incorpora la couronne & pays de Navarre a la couronne & domaine de France, pour censé être dorénavant Membre du Royaume, couronne & domaine de France.
II avouait donc que jusqu'alors le Royaume de Navarre n'avait pas été membre du Royaume de France. Pouvait-il faire cette union sans le consentement des deux Nations ? Par le droit des gens, aucun Peuple ne peut êtres soumis, ni uni, malgré lui, à une souveraineté étrangère. Pour unir l'Ecosse & l'Angleterre, il fallut le consentement des deux Nations.
Par la constitution du Royaume de Navarre, le Roi ne peut faire aucune loi sans le consentement & la volonté des Etats-Généraux. Par la constitution encore, il ne peut faire union, annexion, ni incorporation de son Royaume avec un autre Royaume ou terre : & s'il le faisait, le serment des Rois porte, que le tout sera nul & de nul effet & valeur, l'union des deux Royaumes, ordonnée par Louis XIII est donc nulle, si les Etats Généraux de Navarre n'y ont pas consenti. Or ils n'y ont pas consenti. Ils ont au contraire protesté contre l'Edit d'union, quatre jours après sa publication. Ils ont envoyé une députation à Louis XIII, pour demander que cet Edit fût déclaré nul & non-avenu. Ils ont persisté pendant 169 ans dans leur réclamation.
Le Royaume de Navarre n'a donc jamais été valablement uni à la couronne de France. II a donc toujours continué d'être Royaume distinct & indépendant du Royaume de France. Aussi a-t-il conservé jusqu'à présent son titre de Royaume : aussi ses Etats ont-ils toujours conservé le titre d'Etats-Généraux, ce qui suppose un corps de Nation, & non un membre de Nation. Aussi Henri IV & ses descendants ont il toujours accolé le titre de Roi de Navarre à celui de Roi de France, & les armoiries de Navarre à celles de France.
Aveux de Louis XIV & de Louis XVI sur l'indépendance de la Navarre
Louis XVI, Roi de France & de Navarre, a ordonné à la Navarre d'envoyer des Députés aux Etats-Généraux de France, et de leur donner des pouvoirs généraux et suffisants pour consentir à tous les impôts qui seraient accordés, & à tous les actes de législation & d'administration qui seraient faits par les Etats-Généraux de France.
Louis XIV en avait fait autant en 1649. L'ordre de députer a été adressé par Louis XVI au Sénéchal de Navarre. On y a joint un Règlement qui assimilait la Navarre aux provinces du Royaume de France, pour la forme des élections et de la députation. C'est ce que Louis XIV n'avait pas fait, il avait adressé l'ordre de députer aux Etats-Généraux du Royaume de Navarre, & ne leur avait proposé aucune forme nouvelle pour sélection de leurs députés.
En 1649, les Etats-Généraux du Royaume de Navarre refusèrent de députer, malgré l’ordre de Louis XIV. En 1789, ils ont déclaré cette forme de convocation, irrégulière, illégale & anti-constitutionnelle quant au Royaume de Navarre. Ils ont présenté des remontrances au Roi, pour le supplier de retirer la Lettre de convocation, de n'adresser de semblables Lettres qu'aux Etats-Généraux du Royaume de Navarre, & d'en approprier la forme, la substance & les conditions, à la constitution, & aux droits & franchises de la Navarre.
L'erreur commise en 1649 fut reconnue & réparée par Louis XIV en 1651. II y eut cette année encore une nouvelle convocation des Etats-Généraux du Royaume de France. Louis XIV reconnut que les Etats-Généraux du Royaume de Navarre avoient le droit d'y envoyer, ou de ne pas y envoyer des Députés. Il leur adressa, non pas un ordre, mais une INVITATION. Ce fut uniquement pour ne pas les désobliger, qu'il leur fit cette invitation, en remettant à leur discrétion d'en user comme ils le jugeraient à propos.
Louis XVI a aussi réparé la double erreur de ses Ministres, même avant d'avoir reçu les remontrances des Etats-Généraux de Navarre, iI a révoqué la Lettre de convocation adressée au Sénéchal. II a adressé une nouvelle Lettre de convocation aux Etats-Généraux de Navarre. II ne leur a plus ordonné d'envoyer des Députés aux Etats-Généraux de France ; il les y a seulement INVITÉS. II les a autorités à mettre à cette députation & aux pouvoirs de leurs Députés les limites & conditions nécessaires a la conservation de la constitution du Royaume de Navarre, & des droits & franchises des Navarrais. II a donc reconnu, comme Louis XIV,
1°. Que c'est aux Etats-Généraux du Royaume de Navarre à délibérer fur la députation aux Etats-Généraux du Royaume de France.
2°. Qu'ils ont le droit de ne point envoyer de Députés.
3°. Qu'ils ont le droit de restreindre & de limiter les pouvoirs de leurs Députés.
4°. Qu'ils ne peuvent pas être soumis, soit pour la forme de la députation, soit pour celle de sélection des Députés, soit pour la nature des pouvoirs, aux règlements faits pour les provinces du Royaume de France.