Si l'on écoute les légendes, les rumeurs, cette villa de Biarritz, réputée noire, cacherait dans ses murs tous les mystères du monde. Les plus terribles secrets dormiraient dans les pierres noires et grises de cette étrange demeure.
Qu'y avait-il de vrai dans la légende ? Les fantômes des morts rôdent-ils la nuit sur le rocher ? Les volets claquent-ils simplement à cause du vent ?
C’est vrai que l’éclairage nocturne souligne encore plus la fantomatique silhouette quand on contemple la villa Belza depuis la passerelle du Rocher de la Vierge. Dans un halo de lueurs blafardes, elle semble résister à l'assaut des vagues violemment éclairé par les projecteurs…
Or, comme c’est souvent le cas, la réalité dépasse la légende.
C’est vrai qu’en basque « belza » veut dire noir... Mais, cette couleur n’a rien à voir avec la villa, bien qu’elle ait été victime de plusieurs incendies, le dernier au début des années 80..
En fait, la villa Belza fut construite au début des années 1880 par l'architecte Alphonse Bertrand, auteur du casino de style mauresque qui avait précédé l’actuel casino municipal, également de style « Art-déco ».
Au début, la bâtisse présentait l’apparence de ce que l’on appelait alors « un chalet », il s’agissait d’une maison flanquée d’un pavillon un peu plus élevé. Son premier propriétaire fut un assureur parisien nommé Dufresnay, dont on disait à l’époque que « le tumulte de la marée montante ne semblait guère l’effrayer »…
Et une quinzaine d'années plus tard, Dufresnay ajouta à son chalet le donjon néogothique avec «tourelle en poivrière» que nous lui connaissons aujourd’hui.
Mais alors, me demanderez-vous, pourquoi ce nom de Beltza ?
J’y viens. Ce Dufresnay était marié à Marie Belza Dubreuil, et c’est en l’honneur de son épouse que cette maison fut nommée ainsi.
Et pourquoi Marie Dubreuil accolait-elle cet étrange « Belza » à son prénom ? C’est une de ses descendantes, rencontrée il y a bien des années, qui me l’avait expliqué à l’occasion d’une réception offerte par le jeune entrepreneur Jean-Marc Galabert : après de nombreux efforts, il avait réussi à retrouver tous les propriétaires des différents lots qui composaient la villa Belza (certains d’entre eux habitaient même en Amérique du Sud) afin de les leur racheter et de se lancer ainsi dans un fantastique projet de rénovation immobilière qui avait littéralement sauvé l’édifice !
Ainsi, selon la tradition familiale, sous la révolution de 1789, la gouvernante - sans doute antillaise - de cette famille avait sauvé des persécutions révolutionnaires les enfants qui lui avaient été confiés et, depuis lors, en mémoire de cette bonne fée « noire », on avait accolé Beltza (« la noire », en basque) à tous leurs descendants. Ainsi donc, ce lieu emblématique de Biarritz et de toute la côte basque perpétuerait la mémoire de cette bonne gouvernante noire. Une histoire d’autant plus plausible que « Paul et Virginie », le célèbre roman de Bernardin de Saint-Pierre dont l’action se situe à l’Ile Maurice, venait d’être publié, et il était très populaire.
Mais la villa Belza connut encore d’autres épisodes extraordinaires : d’après Monique et François Rousseau dans « Biarritz-promenades », en 1908 « le cinématographe mit à profit ce site déjà célèbre ». Au cours des projections, le public redemandait le drame « le chevrier »- dont diverses scènes avaient étaient tournées à la villa Belza. La notoriété de la villa lui valut d'être cambriolée au printemps suivant ; les couvertures et toute l'argenterie disparurent.
Devenu restaurant en 1923 sous le nom de «Château Basque», l'établissement connut la vogue des cabarets russes créés en France par les Russes Blancs exilés. Et c'est un parent d'Igor Stravinsky (résidant à l'époque à la Chambre d'Amour) qui prit un jour en charge le « Château Basque » pour le « russifier » sur le conseil d’un autre musicien, le célèbre pianiste Arthur Rubinstein. De nombreuses fêtes s'y déroulèrent : les chœurs de cosaques, la fête japonaise, la fête de Neptune, celle de Bacchus ou les nuits d'Afrique avec décors de liane, plantes exotiques et animaux, depuis le gorille jusqu'au boa enroulé autour d'un tamaris.
En voici une description datant de 1930 : « Le dîner était servi à la mode russe, et les zakouskis, au nombre de 50, présentés sur une grande table ancienne : chacun muni de son assiette, choisit à discrétion tout ce qui le tente.
Le diner suit : les côtelettes pojarsky, le chachlik et le bœuf Strogonoff. Un orchestre merveilleux joue pendant le dîner des airs et des opéras russes. Des diners de gala servis de manière aristocratique, ont lieu tous les samedis; un trompette et un pianiste de jazz complètent l'ensemble de danse.
Comme tous les russes de grande race, M. Beliankine, directeur du Château Basque, reçoit comme il recevait autrefois à Saint-Pétersbourg : ses clients sont ses hôtes et il a un grand soin de maître de maison, opulent et disert. Sa noble tête tolstoïenne convient à ce pathétique décor : suivant la charmante coutume russe, il donne un souvenir à chaque dame; samedi dernier, c'était une grappe de ballons roses; samedi prochain, ce sera un ouvrage de cristal »....